Pour la première fois, le Congrès mondial a consacré une séance au vécu spécifique des femmes. Les échanges ont soulevé et permis de commencer à étudier plusieurs questions importantes.

Des données insuffisantes

Présentant Judged for More than Her Crime (« Jugée pour plus que son crime »), rapport Cornell Center on the Death Penalty Worldwide rendant compte de la situation dans le monde et du vécu des femmes condamnées à mort, Delphine Lourtau a souligné un problème de base : il existe peu de publications et de données quantitatives concernant les femmes détenues, particulièrement les femmes condamnées à mort. Les femmes qui attendent dans le couloir de la mort n’ont jamais été considérées comme une catégorie à part ; elles ont toujours été comptabilisées avec les hommes, plus nombreux. Conséquence de cet état de fait, les chercheurs mobilisés pour ce rapport n’ont pas été en mesure d’évaluer avec précision le nombre de femmes condamnées ou exécutées. Il est vrai que les femmes représentent un petit pourcentage des condamnés à mort mais, alors que les mineurs sont encore moins nombreux, leur situation a bien été documentée. À l’heure actuelle, les femmes sont invisibles dans le couloir de la mort.
Face à ce contexte, Mme Lourtau a conseillé aux chercheurs de recueillir des récits et témoignages de femmes afin d’appuyer leur travail de plaidoyer. Sur le long terme, il est essentiel d’obtenir davantage de données concernant la situation des détenues. C’est pourquoi Mme Lourtau a invité la communauté abolitionniste à favoriser des recherches quantitatives et qualitatives sur ce groupe de femmes. « Tant qu’il y aura des lacunes dans les connaissances, il y aura aussi des lacunes dans le plaidoyer. »

La violence sexiste à l’encontre des femmes

Tous les membres du panel ont observé qu’un pourcentage élevé de femmes condamnées à mort ont été victimes de violences sexistes, dont notamment des mariages forcés étant pour certaines adultes ou mineures. D’ailleurs, beaucoup ont été condamnées
pour le meurtre du conjoint qui leur infligeait cette violence. Il est rare que des femmes commettent d’autres formes de violence grave. Pour illustrer ce point, le panel a remarqué que 102 femmes ont été condamnées à mort en Thaïlande, dont seulement sept pour des infractions en lien avec la drogue. Cette constatation vient appuyer l’argument selon lequel il faudrait analyser à part la situation des femmes détenues, y compris dans le couloir de la mort.

Une évaluation judiciaire imparfaite

De nombreuses juridictions n’acceptent pas (ou ne l’acceptaient pas auparavant) l’argument de la légitime défense lorsque des femmes tuent leur conjoint violent. Cette erreur d’évaluation est encore aggravée par le fait que de nombreux tribunaux ne reconnaissent ou ne reconnaissaient pas que, accumulée sur une longue période, la maltraitance peut déclencher une violence extrême chez la victime. Ainsi, dans de nombreux cas où la maltraitance ayant déclenché le meurtre n’était pas plus grave que les violences subies précédemment, les tribunaux ont refusé d’examiner l’argument de la légitime défense ou des circonstances atténuantes. Par ailleurs, s’il est vrai que les femmes se voient souvent infliger des peines plus clémentes parce qu’on les suppose moins violentes (forme de préjugé de genre), celles dont on considère qu’elles ont transgressé les « valeurs féminines » (et qui sont décrites comme des Jézabel, des femmes adultères, des mauvaises mères ou des femmes fatales) sont jugées plus durement et sont davantage susceptibles d’être condamnées à mort.

La nature de la criminalité féminine

Le panel a échangé autour de la question suivante : « Les hommes sont-ils des criminels par nature, tandis que les femmes le deviennent par circonstances ? » Mme Lourtau a expliqué qu’elle rechignait à adopter une approche essentialiste ou l’idée que les femmes ne sont pas potentiellement violentes. Elle a estimé qu’il était dangereux de se concentrer exclusivement sur les femmes emprisonnées à tort ou ayant survécu à des violences sexistes. En effet, en s’intéressant trop aux femmes victimes, on risque de masquer l’argument fondamental contre la peine de mort et le droit à la justice pour les hommes et les femmes ayant commis des crimes.

La notion de femmes victimes

Agnès Callamard a poussé cet argument plus loin. Sous l’angle du droit relatif aux droits de l’homme, les défenseurs des droits de l’homme sont tenus de décrire les prisonniers comme des victimes car, pour prouver que leurs droits ont été bafoués, il est nécessaire d’identifier un « coupable » et une « victime ». En ce sens, les défenseurs des droits de l’homme argumenteront que les femmes condamnées à mort sont victimes des pratiques des États. « Ce n’est pas parce qu’il s’agit d’un crime de sang-froid qu’une femme n’est pas victime de l’État. » Mme Lourtau acquiesce et ajoute que de la même manière, les hommes dans le couloir de la mort sont, en matière de droit, également des victimes de l’État.
Approfondissant encore la notion de victime, Mme Callamard a ajouté que, pendant cette séance, certains avaient parlé de « mères » plutôt que de femmes, revendiquant le droit des mères à être protégées. Elle a estimé que si, dans la pratique, la protection des enfants englobe obligatoirement la mention des mères, le fait de se concentrer sur ce rôle de mère ne nous mènera pas loin. « Cela ne pose absolument pas de problème de considérer que les enfants sont une circonstance atténuante, […] mais l’image de la mère peut être dangereuse si l’on comprend par là que seules les femmes ayant des enfants peuvent prétendre à une protection. »

Le vécu spécifique des femmes

Tous ces échanges ont souligné que, pour parvenir à une justice universelle, il est primordial de reconnaître la spécificité des femmes et de leur vécu. Lorsque les sociétés ne reconnaissent pas la différence d’impact chez des personnes ayant des caractéristiques propres (hommes, femmes, enfants, minorités, etc.), les schémas de discrimination systémique deviennent invisibles et les membres des sociétés en question se rendent complices de cette discrimination et du déni que subissent les femmes et autres minorités. C’est une raison fondamentale pour laquelle il est essentiel d’étudier la situation des femmes de manière discrète, sans formes explicites ou implicites de plaidoirie spéciale ou de préjugés sexistes.

L’importance des alliances

Cette constatation a soulevé une dernière question. Angela Uwandu a encouragé le mouvement abolitionniste à « inclure de nouveaux partenaires dans ce combat », en formant des alliances avec le mouvement des droits des femmes. Elle a expliqué qu’au Nigeria, les organisations en faveur des femmes aident les détenues, mais pas les condamnées à mort, qui sont très peu nombreuses. Pourtant, même rares, les femmes dans le couloir de la mort ont des besoins précis auxquels il faut répondre. C’est pourquoi il faudrait diffuser les problématiques spécifiques des condamnées à mort auprès de ces organisations et les encourager à rejoindre le mouvement.

Défis et recommandations

• Il est essentiel de recueillir davantage de données quantitatives concernant le nombre de femmes dans le couloir de la mort et leur situation.
• Il est également nécessaire de recueillir les récits de ces femmes, notamment la manière dont elles ont été traitées et ont vécu avant et pendant leur procès, puis après leur condamnation.

Pour aller plus loin

Cornell Center on the Death Penalty Worldwide, Judged for More than Her Crime :
A global overview of women facing the death penalty (2018). Disponible en anglais sur : www.deathpenaltyworldwide.org/pdf/judged-for-more-than-her-crime.pdf.

« Ce qui me dérange, c’est que, pour bénéficier de la clémence, les femmes, en tant que groupe, doivent être perçues comme des victimes. Je propose un cadre de discussion dans lequel nous parlerions simplement d’individus bénéficiant de la justice. »
Delphine Lourtau
Directrice générale de Death Penalty Worldwide, Université Cornell