L’Afrique subsaharienne compte parmi les régions qui ont le plus avancé vers l’abolition. Néanmoins, la peine capitale persiste dans plusieurs pays. Ainsi, le Nigeria, le Soudan, le Soudan du Sud et la Somalie continuent de prononcer de nombreuses condamnations à mort. En 2016, vingt personnes ont été exécutées en Somalie.

Les débats ont soulevé plusieurs questions clés.

L’action régionale

À l’échelle régionale, l’abolition de la peine de mort bénéficie d’un soutien croissant, même si certains pays y restent fermement opposés. Une initiative au niveau de l’Union africaine aurait pu mener à un moratoire dans toute l’Afrique subsaharienne ; cette initiative a malheureusement été interrompue pour des raisons de procédure en 2016. Les efforts diplomatiques se poursuivent pour avancer vers l’obtention d’un consensus plus large sur cette question.

Les avancées nationales

Si plusieurs gouvernements ont adopté des mesures en vue de mettre fin à la peine de mort ou à son application, la plupart ont préféré un moratoire ou ont retiré la peine de mort de leur code pénal, plutôt que de l’abolir complètement par un texte de loi. (Voir les études de cas ci-dessous.) Dans la plupart des cas, comme l’ont expliqué les représentants de ces gouvernements, ils ont préféré cette approche car, d’un point de vue politique, seule cette méthode avait des chances d’être acceptée par le Parlement, qui reste significativement opposé à l’abolition. Les gouvernements de la région ont également fait preuve de prudence après l’échec d’un certain nombre de réformes bloquées dans nombre d’États, à l’exemple du Maroc. Dans la pratique, les réformateurs ont adopté une approche progressive : (1) proclamer un moratoire ; (2) réduire le nombre de crimes passibles de la peine de mort ; (3) retirer totalement la peine de mort du Code pénal ; et (4) abolir la peine de mort (de préférence via la Constitution).
Des difficultés particulières se posent dans les pays pratiquant la charia, comme le Soudan et la Somalie, car, dans ces pays, les juges peuvent considérer comme des crimes hudûd des actes qui, dans d’autres juridictions, ne relèvent pas du pénal (mais sont considérés comme des délits). Certaines de ces infractions sont passibles de la peine capitale. Au Soudan, par exemple, l’apostasie, l’adultère et la sodomie sont punis par la peine de mort. Que ce soit sur les plans social ou politique, l’association entre les croyances religieuses et la loi complique les efforts de réforme.
Les intervenants estiment que, pour réussir, il faut reconnaître le contexte propre à chaque pays et laisser chaque pays avancer vers l’abolition à sa manière. Ils ont souligné l’importance d’une coopération avec la société civile et d’autres acteurs, afin d’examiner les questions clés et de les aborder avec toutes les parties.

Le droit militaire

Dans plusieurs régimes juridiques, les crimes passibles de la peine capitale figurent à la fois dans les codes civil et militaire. Il est parfois plus long de retirer ces crimes du droit militaire, que du Code civil. En effet, l’armée souhaite parfois conserver ses prérogatives ; elle peut s’avérer réticente à laisser les autorités civiles réformer le Code militaire. Lorsque l’autorité civile est relativement faible, elle n’est pas en position d’imposer ces réformes. Les nouveaux gouvernements disposant d’un mandat populaire ont pu agir ; les gouvernements démocratiquement élus qui font preuve de fermeté ont également pu imposer leur volonté. (Voir l’exemple de la Guinée, ci-dessous.) Néanmoins, dans certains pays, les autorités civiles peuvent être obligées d’exercer discrétion et jugement dans ce domaine.

Obtenir un consensus : échanger à l’échelle locale, construire un réseau international et élaborer une coalition

Plusieurs intervenants ont souligné que pour réussir il est nécessaire de construire des alliances et de répondre aux inquiétudes des principaux groupes, comme les parlementaires, les représentants des ministères et commissions concernés, l’armée et la police, les médias, les femmes, la jeunesse, les organisations de la société civile, les chefs religieux, ainsi que d’autres groupes favorables à la peine de mort. La réussite passe également par des antennes et réseaux régionaux et internationaux facilitant ou encourageant l’abolition. En plus de la négociation et du plaidoyer, l’information et la sensibilisation du public sont des actions importantes. Les études de cas ci-dessous illustrent certaines stratégies qui se sont avérées efficaces.
Les intervenants ont rappelé que le leadership politique pouvait également être primordial pour la réussite des réformes, comme ce fut le cas au Burkina Faso et en Guinée.

« Ce qui compte, c’est la communication. Pour changer l’opinion, il faut obtenir le soutien de chefs religieux, d’organisations, de la société civile et d’autres parties prenantes influentes. »
Urbain Yameogo
Directeur général de CIFDHA
et président de la Coalition contre la peine de mort, Burkina Faso

La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples

En 2005, la Commission africaine a adopté une résolution en faveur de l’abolition sur tout le continent. Depuis, elle collabore avec la société civile, les gouvernements et les institutions internationales pour recueillir des informations concernant la peine de mort et défendre son abolition. Le groupe de travail de la Commission sur la peine de mort en Afrique est chargé d’évaluer les avancées en matière d’abolition, tout en formulant des stratégies et des recommandations. Puisque la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples affirme le droit à la vie sans mentionner la peine de mort, la Commission a adopté un projet de protocole recommandant : l’abolition dans les États imposant déjà un moratoire sur les exécutions et un moratoire sur les exécutions dans les États pratiquant encore la peine de mort. Ce projet de protocole a été soumis à l’Union africaine (UA) en 2015, mais il a été bloqué en raison d’un vice de procédure. Ce protocole planifie de nouvelles stratégies pour l’avenir, en reconnaissant que certains États membres de l’UA ne sont pas encore disposés à soutenir l’abolition. Ce projet de protocole comblerait la lacune théorique actuellement présente dans la charte, tout en préconisant une justice réparatrice, plutôt que rétributive. (Voir l’entretien avec Maya Sahli Fadel, pages 77-79.)

Guinée

Si le nouveau gouvernement guinéen a proclamé un moratoire sur les exécutions, ce résultat a été difficile à obtenir. En effet, le gouvernement a dû agir sur différents fronts et avancer pas à pas. Le ministre a estimé qu’une loi visant à abolir la peine de mort aurait été rejetée par le Parlement, comme au Maroc. C’est pourquoi il a préféré retirer la mention de la peine de mort du nouveau Code pénal et la remplacer par une peine de réclusion à perpétuité (trente ans). Le Parlement a voté cette proposition à l’unanimité.
En outre, le gouvernement se devait d’agir vite, car de nombreux détenus étaient en attente de leur condamnation et d’importants procès devaient se tenir après des massacres dans la région forestière. Il fallait donc rapidement faire en sorte que les tribunaux ne puissent pas prononcer la peine capitale.
En Guinée, le Code militaire autorisait également la peine de mort. L’armée souhaitait conserver cette sanction. Néanmoins, le gouvernement s’est montré ferme, affirmant qu’il serait contradictoire de supprimer la peine de mort dans un code et pas dans l’autre.

Burkina Faso

Au Burkina Faso, le gouvernement a également proclamé un moratoire. La peine de mort a été inscrite dans le Code pénal à partir de 1966, puis à partir de 1972 dans le Code militaire. Les efforts précédents pour adopter l’abolition ont été interrompus en 2015 à la suite d’une tentative de coup d’État.. Cependant, après 2015, quand le nouveau gouvernement a entrepris de refondre le Code pénal, il est devenu possible de retirer toutes les références à la peine capitale.
La société civile a participé activement à ce processus de réforme et une coalition nationale contre la peine de mort a été formée. La coopération interministérielle a été appuyée par une campagne de sensibilisation de la société civile, afin d’obtenir le soutien du public. Les institutions publiques, les représentants du gouvernement et la société civile se sont réunis. Le ministre, abolitionniste, a également soutenu ce mouvement. Cette alliance très large, englobant le pouvoir exécutif, s’est avérée décisive. C’est ainsi qu’en mai 2018, le Burkina Faso a adopté un nouveau Code pénal ne faisant aucune référence à la peine de mort.
La peine capitale figure néanmoins encore dans le Code militaire (et dans le droit de la police des chemins de fer).

Kenya

S’il est vrai qu’aucune exécution n’a eu lieu au Kenya depuis 1987, ce pays conserve la peine de mort et un mode d’application obligatoire pour certains types de crimes. La sanction est, en outre, largement soutenue par l’opinion. En 2018, le procureur général a nommé un groupe de travail afin d’évaluer la nature obligatoire de la peine de mort. Ce groupe a recommandé l’abolition.
Encore à l’état de recommandations, les conclusions émises par ce groupe doivent être transposées dans la loi au niveau du Parlement. Mme Njau-Kimani, qui présidait ce groupe, a admis que le franchissment de cette nouvelle étape reposera sur la bonne volonté du système judiciaire et de l’élite politique. Bien qu’optimiste, elle a observé que « la peine de mort est considérée comme la sanction la plus efficace face aux crimes violents, contexte auquel s’ajoute une certaine méfiance à l’égard des institutions judiciaires ». Le Kenya en est encore à une étape précoce du processus d’abolition.

Soudan

En janvier 2019, la perspective d’une abolition au Soudan semblait peu probable. En effet, le Soudan présente l’un des taux de peine capitale parmi les plus élevés d’Afrique et plus de 49 détenus attendaient dans le couloir de la mort à cette date. La charia prévoie la peine de mort dans un certain nombre de crimes définis comme hudûd d’après le Coran : apostasie, adultère, sodomie et meurtre. Les méthodes d’exécution comprennent la crucifixion, la pendaison et la lapidation. Les personnes accusées ne bénéficient pas de procès équitables, nombre d’entre eux n’étant pas défendus et certains torturés.
La peine capitale revêt également une dimension politique. Ainsi, des militants politiques et des défenseurs des droits de l’homme ont été exécutés. Plusieurs Soudanais du Sud ont été condamnés à mort pour leur appartenance à un groupe de rebelles, avant d’être libérés lorsque le gouvernement a signé un accord d’amnistie avec ce groupe.
La première étape consiste donc à réduire impérativement le nombre de crimes passibles de la peine de mort et d’aligner la loi soudanaise sur la Charte africaine. Le Soudan a accepté l’autorité des mécanismes africains, tout en rejetant ces normes internationales. S’il est important de soumettre certains cas aux organes de défense des droits de l’homme des Nations unies, cette démarche a jusqu’alors été effectuée de l’étranger, car les défenseurs des droits de l’homme ne sont souvent pas autorisés à quitter le Soudan.

République démocratique du Congo

Alors que les codes pénal et militaire de la RDC autorisent tous deux la peine de mort pour certains crimes, la dernière exécution date de 2003. Dans la pratique, il existe donc un moratoire. Des voix se sont efforcées de soulever la question au Parlement, où un député a soumis un projet de loi abolitionniste en 2010. Néanmoins, aucune loi n’a été votée, en partie à cause de la culture institutionnelle dysfonctionnelle qui a cours en RDC. De son côté, l’armée s’est opposée à l’abolition.
La RDC a ratifié le Statut de Rome en 2002. Malgré tout, la loi de 2015 portant sur la mise en œuvre de ce Statut autorise la peine de mort pour les crimes qui peuvent être des crimes capitaux en vertu de la Charte de Rome.