« Vos efforts et votre militantisme sont devenus l’un des exemples les plus flagrants de l’impact sur les droits de l’homme que l’humanité ait jamais connu. La campagne mondiale contre la peine de mort est une réussite et il ne fait aucun doute que la peine de mort est en voie de disparition. Le message d’espoir que votre travail envoie aux militants des droits de l’homme qui travaillent dans d’autres domaines est incroyablement puissant et mérite d’être reconnu.
Il ne reste plus que quelques pays pratiquant la peine de mort et nous voyons des fissures dans leurs murs… Ne laissez pas les menaces ou les revers occasionnels vous décourager, ni vous faire perdre votre combat ou votre force collective ».
Kumi Naidoo
Secrétaire général d’Amnesty International

S’il est vrai que, globalement, les États s’orientent vers l’abolition, plusieurs gouvernements ont récemment réintroduit la peine de mort ou élargi son application, notamment le Tchad, la Jordanie, la Nouvelle-Guinée, le Pakistan et les Philippines. Diverses raisons ont été invoquées pour justifier ces décisions, les principales étant la lutte contre le terrorisme et contre le trafic de drogues.
Yuval Shany a commencé par décrire le contexte juridique, notamment la manière dont le Comité des droits de l’homme des Nations unies interprète le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Puis les intervenants ont examiné la situation au Cameroun, aux Philippines et en Mauritanie, trois pays qui ont rétabli la peine de mort ou cherchent à le faire pour certains crimes.

La manière dont le Comité des droits de l’homme de l’ONU interprète le PIDCP

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP, 1966) ainsi que son Deuxième Protocole facultatif (1989) contiennent plusieurs dispositions relatives à la peine de mort.
Ainsi, l’article 6 du PIDCP affirme le droit à la vie, droit qui est restreint par les paragraphes 2 à 6 de ce même article. En effet, si le PIDCP a été rédigé à une époque où l’abolition de la peine de mort était moins répandue, il affirme néanmoins le droit à la vie, permet aux individus de saisir le Comité en cas de non-respect de ce droit et réglemente l’application de la peine de mort. Rédigé ultérieurement, le Deuxième Protocole facultatif recommande l’abolition de la peine de mort par tous les États et, en attendant la réalisation de cet objectif, limite son utilisation.
Le Comité des droits de l’homme des Nations unies a publié des observations générales interprétant le PIDCP, notamment les observations générales n°6 (avril 1982) et n°36 (octobre 2018). Les paragraphes 6 et 7 de l’observation générale n°6 stipulent que les États parties du PIDCP ne sont pas tenus d’abolir la peine de mort (bien que l’abolition soit souhaitable), mais doivent limiter son application aux « crimes les plus graves » ; les États ne peuvent pas imposer la peine de mort pour d’autres crimes.
L’observation générale n°36 adopte quant à elle une approche contemporaine et en faveur de l’abolition. Ainsi, le paragraphe 34 affirme que l’article 6, paragraphe 2, du PIDCP limite l’application de la peine de mort aux crimes les plus graves dans les États qui n’ont pas encore aboli la peine capitale et que les États ayant aboli la peine de mort (et qui ne peuvent donc plus l’appliquer, même face aux crimes les plus graves) ne sont pas autorisés à la rétablir. Ainsi, l’abolition est irrévocable.
Le paragraphe 35 de l’observation générale n°36 définit les « crimes les plus graves » comme étant des crimes d’une extrême gravité, impliquant un homicide intentionnel. Cette définition prévaut même lorsque la législation nationale donne une définition plus large des « crimes les plus graves ». Le paragraphe 37 de l’observation générale n°36 interdit les peines de mort obligatoires, qui ne permettent pas aux tribunaux de prendre en compte la situation personnelle de l’accusé, ni les circonstances de l’infraction.
Le paragraphe 40 de l’observation générale n°36 établit que la peine de mort doit respecter l’article 7 du PIDCP, lequel restreint les méthodes d’exécution possibles. Le paragraphe 41 affirme que les procès doivent être équitables et respecter une procédure légale. Le paragraphe 43 déclare que, dans les affaires passibles de la peine de mort, la culpabilité doit être établie « au-delà de tout doute raisonnable ».
Le paragraphe 51 de l’observation générale n°36 souligne l’esprit abolitionniste du PIDCP. En effet, ce paragraphe affirme que si le « […] paragraphe 2 de l’article 6, donne à penser qu’au moment de la rédaction du Pacte, les États parties ne considéraient pas tous la peine de mort comme une peine cruelle, inhumaine ou dégradante en soi, les accords ultérieurs conclus par les États parties ou la pratique ultérieure établissant de tels accords peuvent conduire à la conclusion que la peine de mort est contraire à l’article 7 du Pacte, en toutes circonstances ».

Cameroun

Parmi les pays francophones, le Cameroun est celui qui a prononcé le plus de condamnations à mort, nombre qui a par ailleurs augmenté. La peine capitale a été adoptée au Cameroun pendant la période coloniale mais, alors qu’elle figurait toujours dans le Code pénal, aucune exécution n’a été pratiquée entre 1999 et 2014. Cependant, depuis 2014, à la suite de la modification des lois antiterroristes nationales (en réponse aux tueries perpétrées par Boko Haram), les tribunaux camerounais ont condamné plus de 300 individus à la peine capitale. En 2017, une réforme juridique supplémentaire a élargi le pouvoir des tribunaux militaires de prononcer des condamnations à mort.
Si le gouvernement a invoqué des raisons de sécurité pour justifier ces changements, les nouvelles lois ne définissent pas le terrorisme et ont été utilisées à des fins politiques.
En conclusion, Me Sandrine Dacga a appelé la société civile et la communauté internationale à faire pression sur le gouvernement camerounais pour réduire le nombre de condamnations à mort et, à terme, abolir la peine capitale

Philippines

Aux Philippines, la peine capitale a été autorisée après l’indépendance et a été davantage appliquée sous la présidence Marcos (de 1965 à 1986). Après un moratoire de 1987 à 1999, les exécutions ont repris entre 1999 et 2006. Les Philippines ont mis un terme à la peine de mort en 2006, après avoir ratifié le Deuxième Protocole facultatif du PIDCP. La loi en question contient toutefois une disposition permettant au Congrès de réintroduire la peine capitale.
Or, avant et après son élection en 2016, le président Rodrigo Dutertre promettait de rétablir la peine de mort, notamment pour les crimes liés à la drogue. Cette promesse a attiré de nombreux électeurs et lui a permis de remporter l’élection. Aujourd’hui, cette question continue d’occuper une place importante dans l’agenda politique, au même titre que les propositions visant à réduire l’âge de la responsabilité pénale.
La Commission des droits de l’homme a récemment publié une étude des comportements politiques aux Philippines, dont les résultats se sont avérés intéressants. Elle révèle tout d’abord que la majorité des Philippins ne sont pas favorables à la peine de mort : 70 % des personnes interrogées estiment qu’il existe de meilleures alternatives, tandis que seulement 30 % affirment soutenir activement la peine capitale. Par ailleurs, les personnes favorables à la peine de mort étaient moins nombreuses après avoir reçu des informations à ce sujet. Cette étude a notamment démontré que la plupart des personnes favorables à la peine de mort étaient influencées par de fausses informations et que le dialogue social et un plaidoyer constant pourraient augmenter le nombre de personnes favorables à l’abolition.
Le gouvernement a formulé des propositions visant à rétablir la peine de mort. Approuvées par la Chambre basse, ces propositions ont néanmoins été bloquées par le Sénat au motif qu’elles étaient contraires aux obligations légales internationales que les Philippines sont tenues de respecter.

Mauritanie

S’il est vrai que la Mauritanie applique un moratoire, des peines de mort continuent d’être prononcées. De plus, la Mauritanie a rétabli la peine capitale obligatoire face à certains crimes, dont le blasphème.
Me M’Baye a décrit le cas d’un jeune blogueur mauritanien condamné à mort pour blasphème parce qu’il avait dénoncé l’esclavage et la discrimination, particulièrement celle dont sont victimes les forgerons, profession à laquelle il appartient.
Pour Me M’Baye, les principales difficultés en Mauritanie demeurent l’absence d’espace dédié à un débat sur la peine de mort, l’absence de liberté d’expression et la peur. Elle a néanmoins précisé qu’il est permis d’espérer des progrès, le nouveau Président mauritanien s’étant exprimé en faveur des droits de l’homme.

Défis et recommandations

Tous les intervenants ont souligné l’importance de la solidarité et de la mise en réseau, au sein des pays et à l’échelle internationale, pour empêcher les gouvernements de réintroduire la peine de mort ou de durcir et d’élargir son application.


Tchad : dix exécutions en 2015, après six ans de moratoire
Jordanie : reprise des exécutions en 2014, après six ans de moratoire
Pakistan et Nouvelle-Guinée : durcissement de la législation sur la peine de mort
Mauritanie et Philippines : des inquiétudes, mais aucune exécution
Cameroun : aucune exécution entre 1999 et 2014, puis une augmentation significative et inquiétante des condamnations à mort