Pour commencer, les intervenants ont remarqué que les textes internationaux recommandent pour les États rétentionnistes de limiter l’application de la peine de mort aux crimes les plus graves, ce qui exclut de fait l’orientation sexuelle et l’identité sexuelle des personnes. La rapporteuse spéciale des Nations unies, Agnès Callamard, a souligné l’importance de ces expressions en tant que marqueurs d’identité. Associées au sexe, au genre et à la classe sociale, elles permettent de prédire l’exposition d’une personne à un risque ou à un danger mortel.
Le panel a également remarqué qu’il n’existe pas d’informations fiables sur la condamnation et les conditions de détention des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et personnes intersexes (LGBTI). Des travaux sont donc nécessaires pour documenter leur nombre et la manière dont ils sont traités.
Les échanges ont identifié diverses menaces qui pèsent sur les personnes LGBTI en raison de leur orientation et identité sexuelles. Ces menaces sont notamment les suivantes : le risque d’exécution dans les pays où l’homosexualité et les autres expressions de l’orientation et de l’identité sexuelles sont encore passibles de la peine de mort ; le risque de détention pour ces mêmes « crimes » dans certains pays ; l’exécution, les mauvais traitements et la violence auxquels sont exposées les personnes LGBTI tombant aux mains de groupes armés non gouvernementaux ; et le risque général de meurtre et de persécution, risque qui est exacerbé par l’incapacité des États à protéger les personnes LGBTI et à enquêter sur les crimes dont elles sont victimes.
Les personnes qui sont perçues comme appartenant à la communauté LGBTI sont victimes de la même discrimination que les personnes qui le sont effectivement.
Le droit à la vie ne s’arrête pas au droit à ne pas être tué, bien au contraire. Le droit à la vie englobe intrinsèquement les notions de dignité, de sécurité et d’intégrité. De ce point de vue, de nombreuses personnes LGBTI sont privées du droit à la vie. Citant une femme transgenre qui décrivait sa vie comme « une mort lente », Agnès Callamard a souligné que les femmes transgenre ont une espérance de vie significativement inférieure à la moyenne.
À cet égard, la pauvreté est un facteur aggravant. La majorité des condamnés à mort appartiennent aux catégories les plus pauvres de la société, ce qui augmente encore l’inégalité inhérente à cette peine.

« Si vous n’imaginez pas une seule seconde mettre à mort une personne pour des rapports homosexuels entre adultes consentants, comment pouvez-vous accepter que des personnes soient condamnées à mort parce qu’elles sont pauvres ? »
Agnès Callamard
Rapporteuse spéciale des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires.

Le risque d’exécution

Dans ce contexte, le risque le plus important auquel sont confrontées les personnes LGBTI n’est pas la peine de mort, mais plus globalement la criminalisation. Aucune exécution en raison de l’orientation et de l’identité sexuelles n’a été confirmée au cours des douze derniers mois. Il convient de souligner que, dans les systèmes judiciaires discriminant les personnes LGBTI, la vulnérabilité de ces dernières augmente, tout comme le risque de discrimination, de violence et de mort extrajudiciaires.

Les exécutions par des groupes armés non gouvernementaux

Par contraste, les gouvernements autoproclamés et certains groupes armés exécutent bel et bien les personnes LGBTI, en dehors de toute justice ou à l’issue de pseudo-procédures judiciaires profondément imparfaites. Par exemple, Daesh (l’EI) a tué à la fois des hommes et des femmes en raison de leur orientation sexuelle, mais ils ne sont pas le seul groupe à avoir perpétré de tels crimes. Ces crimes devraient être poursuivis, en vertu du droit international des droits de l’homme ou du droit pénal national, mais il reste difficile de tenir les acteurs non étatiques pour responsables car ils ne sont pas toujours liés par le droit international et les mécanismes de recours sont quasiment inexistants.

Refus d’une procédure équitable

Autre problème, dans les pays où certaines orientations ou identités sexuelles sont passibles de la peine de mort ou criminalisées, les procès ne sont pas équitables et les personnes LGBTI bénéficient rarement d’une défense digne de ce nom. En effet, de nombreuses personnes LGBTI n’ont pas accès à un avocat et ne sont donc pas à même de se défendre de manière adaptée. Dans de trop nombreuses juridictions criminalisant l’identité LGBTI, ces personnes sont privées de leurs droits.

Les risques pendant la détention

Des questions spécifiques se posent pendant la détention des personnes LGBTI. Qu’elles se trouvent dans le couloir de la mort en raison de leur orientation ou identité sexuelles, ou pour d’autres motifs, ces personnes sont particulièrement exposées à la violence, voire risquent la mort du fait de négligences des autorités responsables ou intentionnellement, du fait de leur identité. En Tchéchénie, par exemple, certaines personnes LGBTI ont été torturées à mort en raison de leur orientation ou identité sexuelles.
Les personnes transgenres et intersexes sont elles aussi exposées à des risques particuliers si elles ne reçoivent pas les traitements dont elles ont besoin. Or certains États, comme le Vietnam, ne mettent pas ces médicaments à leur disposition.

Un risque supérieur de persécution et l’absence de protection de la part de l’État

Tous les intervenants ont souligné que les personnes LGBTI sont surtout exposées à des risques en dehors du processus judiciaire. En effet, de nombreux États ne protègent pas ces personnes ou sont carrément complices des violences dont elles sont victimes. Dans certaines régions, les États tolèrent les crimes d’honneur à l’encontre des hommes et des femmes, tout en perpétuant des pratiques qui rendent impossibles les poursuites à l’encontre des coupables. Yahia Zaidi a énuméré plusieurs cas de violences . Ainsi, une femme transgenre syrienne a été tuée en Turquie en 2016, sans que la police n’enquête sur ce crime. Quand une Nigériane lesbienne a dénoncé son père violent auprès de la police, elle a été humiliée et s’est vu répondre qu’elle n’avait pas le droit de porter plainte contre son père. Un Algérien a été assassiné dix-huit jours avant cette séance. Avec son sang, les tueurs ont écrit « he is gay » (« Il est gay », en anglais), ostracisant ainsi la victime et sa famille, l’humiliant dans la mort, associant l’homosexualité avec l’Occident et justifiant socialement son meurtre.

Des problèmes politiques et culturels

Les intervenants ont convenu que l’identité LGBTI est souvent considérée comme une idée étrangère, empruntée à l’Occident. C’est pourquoi, en exigeant leur dépénalisation, la communauté internationale et les gouvernements occidentaux exposent parfois les personnes LGBTI à un risque. Il est généralement plus efficace de pousser la société à accepter ces personnes. Pour des raisons similaires, quand les chefs religieux ou les universitaires condamnent les identités LGBTI, il est généralement préférable d’échanger avec eux, plutôt que d’essayer de leur imposer une opinion autre que la leur.
Nikki Brörmann a décrit le travail qu’effectue son organisation, COC, avec des associations communautaires pour partager les informations sur le terrain. D’après son expérience, la meilleure approche pour avancer consiste à renforcer et à épauler les mouvements locaux, afin de les aider à agir eux-mêmes, eux qui connaissent le contexte et les risques encourus, ainsi que les besoins.
Les gouvernements ont malgré tout un rôle important à jouer en fournissant des lieux sûrs et une assistance d’urgence aux acteurs de terrain.

Défis et recommandations

• Il est important de renforcer les mécanismes afin que les acteurs non gouvernementaux qui exécutent des personnes LGBTI ou commettent d’autres crimes à leur encontre répondent de leurs actes.
• Il est également important de supprimer l’impunité des individus qui commettent des crimes d’honneur. Pour ce faire, il convient d’encourager fortement les États à juger tous ces crimes.
• Les États doivent s’efforcer d’améliorer les conditions de détention des personnes LGBTI, tout en les protégeant de toute forme de harcèlement et de violence.
• La propagande anti-gay émise par des groupes occidentaux, notamment les Églises conservatrices aux États-Unis, doit être documentée et prévenue.

Pour aller plus loin

International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association (ILGA), State Sponsored Homophobia (« L’homophobie appuyée par l’État », publication annuelle).