« La question de la peine est très importante. Sur une grande part du globe, à crime hors norme, est donnée une réponse hors norme. Nous parvenons à des accords même face aux crimes les plus atroces et face aux crimes systémiques et nous avons trouvé des moyens de le faire sans invoquer la peine de mort. Pour nous tous qui tenons à la responsabilité face aux droits de l’homme, il me semble que traiter [le terrorisme] comme une catégorie à part pose problème d’un point de vue intellectuel et politique ; cette démarche mérite d’être examinée de près par les États et les défenseurs de notre cause. »
Fionnuala Ní Aoláin
Rapporteure spéciale des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste

Cette séance a été consacrée à la manière dont les États traitent leurs citoyens emprisonnés à l’étranger après avoir participé à des groupes armés non gouvernementaux considérés comme terroristes par les Nations unies. Cette question n’est en aucun cas nouvelle pour les États. Néanmoins, elle s’est retrouvée au premier plan avec la chute de Daesh (l’EI) en Irak et en Syrie, à la fin de l’année 2018. Des milliers de « combattants étrangers » ont alors été arrêtés dans la région et nombre d’entre eux ont été accusés, ou risquent d’être accusés, de crimes passibles de la peine de mort dans les pays où ils sont détenus.
Tous les intervenants ont convenu que les États avaient réagi de manière superficielle et inappropriée à cette question, qui se doit d’être traitée par des stratégies durables. Pour ce qui est de savoir dans quelle mesure l’opinion publique conditionne ou oriente la position des États concernant les combattants étrangers et le terrorisme, les intervenants estiment que ce sont les gouvernements qui façonnent l’opinion publique et non l’inverse. Ceux-ci auraient fait preuve d’irresponsabilité en émettant des commentaires dérisoires en public, ou en tweetant et en partageant prématurément des informations, avant que ces affaires n’aient été jugées. Par ailleurs, certains gouvernements n’ont pas assuré une protection consulaire à ces individus.
Ainsi, en France, après avoir initialement annoncé qu’il rapatrierait ses citoyens et les jugerait, le gouvernement a changé d’avis lorsque les médias et l’opinion publique ont affirmé qu’à leur retour, ces combattants propageraient un discours de haine et continueraient de commettre des attentats. Sur la plupart de ces questions, il est toutefois possible d’éduquer et de convaincre l’opinion publique. Il est du devoir des gouvernements de défendre et d’expliquer leurs obligations légales et internationales et, bien entendu, de les honorer.

Le panel a formulé un certain nombre de constats :
• Les États ont des obligations légales vis-à-vis de leurs citoyens, qui ne sont pas annulées si ceux-ci commettent des crimes à l’étranger.
• Les États ont le devoir de représenter et de protéger leurs citoyens (accès consulaire).
• Les États ne sont pas en droit de se débarrasser des ressortissants posant des problèmes, aussi impopulaires soient-ils, par une déchéance de leur nationalité.
• Les « combattants étrangers » qui reviennent dans leurs pays respectifs, que ce soit de leur propre initiative ou à l’issue de négociations diplomatiques, représentent certes un risque pour la sécurité, mais il incombe à leur pays d’assumer ce risque et de ne pas se décharger sur des pays tiers à l’exemple de l’Irak, qui, sortant d’un conflit ne possède pas les ressources nécessaires pour accueillir un grand nombre d’anciens combattants potentiellement hostiles.
• Les détenus ont droit à un traitement et à une justice équitables, quels que soient les crimes qu’ils ont commis. S’il est coûteux et difficile de recueillir les preuves nécessaires pour juger les anciens combattants, l’État d’origine a des obligations légales envers ses citoyens, qu’il ne doit pas laisser condamner sans défense par des systèmes judiciaires étrangers incapables de garantir une procédure équitable et une protection juridique.
• Le terrorisme est un phénomène cyclique et ses facteurs d’attraction et de répulsion ne sont pas près de disparaître. Si les détenus accusés de crimes terroristes ne bénéficient pas d’un traitement équitable, la persistance ou le retour du terrorisme seront d’autant plus probables.

La responsabilité de l’État de représenter ses citoyens

Fionnuala Ní Aoláin s’est concentrée sur la question des combattants étrangers en Syrie et en Irak. Elle a rappelé que désormais, la situation des citoyens étrangers engagés dans le conflit étant connue et documentée, les États ne peuvent plus invoquer l’excuse du manque d’information sur la situation de leur ressortissants pour justifier leur inaction. Il est clairement de leur devoir de clarifier et de respecter leurs obligations internationales en lien avec les citoyens qui sont détenus à l’étranger pour leur participation à des groupes armés classés comme terroristes.
Fionnuala Ní Aoláin a ouvertement critiqué les États occidentaux qui n’ont pas fourni d’accès consulaire, ni de protection aux combattants étrangers détenus dans les zones de conflit. Les États ont invoqué le risque que représentait pour leur personnel consulaire de se rendre dans ces zones de conflit. En réalité, les États n’adoptent pas les mesures qui seraient pourtant raisonnables. Certains modifient les règles consulaires afin de ne pas assumer la responsabilité des citoyens ayant combattu pour des groupes terroristes. Pour protéger les droits de l’homme et l’État de droit international, il est essentiel de protéger les droits de ceux qui ne sont « ni compatissants, ni bienveillants », y compris leur droit à la vie. Les individus qui ont gravement bafoué les droits de l’homme ont droit à un procès équitable. Si on leur refuse la justice et si on les traite comme des cas à part au regard de la loi, « les combattants étrangers pourront servir de cheval de Troie afin d’invalider le droit à la vie, de l’intérieur ».

La défense des détenus tunisiens en Irak

Hédi Yahmed a décrit la réaction du gouvernement tunisien face aux combattants tunisiens détenus par les autorités irakiennes en Irak. La Tunisie a fourni le plus grand contingent de combattants étrangers dans le conflit mené par l’État islamique. De nombreux Tunisiens ont été arrêtés en Syrie et en Libye, où ils n’ont été ni jugés officiellement, ni condamnés à mort. En Irak, au contraire, les détenus tunisiens ont été jugés et condamnés à mort ; certains ont été exécutés. Le gouvernement tunisien n’a pas choisi de représenter, ni de fournir un accès consulaire à ces citoyens. Depuis 2011, cet État s’est contenté de fournir une assistance administrative aux proches des détenus qui cherchent à leur rendre visite ou à les contacter en Irak.
Pour compliquer encore davantage la situation, le gouvernement irakien ne dévoile pas le nom des citoyens étrangers qui sont exécutés, uniquement leur nationalité.

La défense des détenus à Guantanamo

James Connell s’est exprimé à titre personnel. Il est avocat auprès de la Military Commissions Defense Organization, qui fournit une représentation légale aux citoyens non américains incarcérés à Guantanamo pour des actes terroristes. James Connell défend actuellement le citoyen pakistanais Amar al Baluchi..
Me Connell a commencé par rappeler que c’est en amont de la condamnation à mort qu’il faut aider les prévenus passibles de cette peine, et non a posteriori. Il a ensuite décrit le régime juridique appliqué par les États-Unis à Guantanamo. Les détenus y sont jugés devant des commissions militaires. Censées être plus rapides et moins coûteuses que les tribunaux traditionnels, ces commissions s’avèrent en réalité plus lentes et très coûteuses : il faut de nombreuses années avant de statuer sur les affaires. Or, à chaque audience, les avocats, les juges et le personnel doivent être acheminés sur place par avion. Il serait plus économique et efficace d’emprisonner et de juger les accusés aux États-Unis. En réalité, Me Connell a expliqué que les commissions militaires n’avaient pas vocation à rendre la justice, mais à masquer les preuves des tortures perpétrées par les États-Unis. Les procès se tiennent devant des militaires, et non des jurés ; les dépositions obtenues par la coercition sont admises et la défense n’est pas en mesure de convoquer des témoins. D’ailleurs, ce sont les autorités militaires qui sont chargées de nommer les avocats des accusés, pas les accusés eux-mêmes. Enfin, ces commissions militaires ne jugent que les citoyens non américains.
Me Connell a exhorté les personnes préoccupées par la situation des détenus terroristes à Guantanamo à continuer de suivre la situation dans cette prison. Bien que les demandes de participation aux audiences à Guantanamo soient compliquées et doivent être soumises depuis les États-Unis, les ONG et les journalistes ont le droit d’assister aux audiences en tant qu’observateurs et il a encouragé les organisations à le faire.

La défense des citoyens français détenus en Irak

L’avocat français Martin Pradel a défendu deux femmes incarcérées en Irak, où elles étaient accusées d’actes terroristes. Il a critiqué le gouvernement français, qui ne lui a pas fourni l’assistance consulaire qu’il a réclamée lorsqu’il a accepté de représenter ses clientes en Irak. Me Pradel a affirmé que la France et d’autres pays d’Europe avaient le devoir de rapatrier leurs citoyens détenus en Irak (et dans des pays similaires), non seulement parce que ces détenus sont leurs citoyens, mais aussi parce que l’Irak est une société traumatisée par la guerre, où les institutions sont affaiblies et où les représentants de la justice ne sont pas indépendants et vivent sous la menace d’un assassinat. En outre, le peuple irakien souhaite se venger des horreurs qu’il a vécues. L’Irak n’est pas en position de juger équitablement les crimes commis par des détenus étrangers, en respectant les procédures légales. Face à l’argument selon lequel la souveraineté irakienne devait être respectée et les juges irakiens considérés comme aptes à prononcer des peines exemplaires, Me Pradel a dénoncé le fait que la France ne respectait pas ici la souveraineté irakienne, mais demandait simplement aux autorités irakiennes de faire le sale boulot à leur place en neutralisant à distance les menaces que les terroristes français et autres risquaient de poser pour l’Europe.
Les intervenants ont souligné l’importance capitale des avocats de la défense. En effet, ils sont souvent la seule assistance disponible pour les combattants incarcérés et travaillent dans des environnements dangereux, sans l’aide dont ils auraient besoin.

Défis et recommandations

• La mise à disposition d’un avocat au service des accusés est indispensable.
• Les États ont le devoir de fournir une protection consulaire, ce qu’ils devraient faire systématiquement et plus fermement.
• Tous les États devraient rapatrier leurs citoyens qui sont détenus pour avoir intégré des groupes armés considérés comme terroristes. Malgré le risque qu’ils représentent pour la sécurité et le coût des procès à organiser, seule cette approche est à même de rendre la justice, tout en se penchant sur les causes du terrorisme et en partageant équitablement le fardeau international.