“La conscience est la lumière de l’intelligence pour distinguer le bien du mal.”
Confucius

Le combat pour l’abolition de la peine de mort transcende les clivages et dépasse les continents, comme les cultures. Il rassemble ce qui est épars. Voilà pourquoi il est unique et nécessaire !

Certes, les élans de violence et le désir de vengeance n’ont jamais manqué d’influencer le cours de l’Histoire, mais les sociétés qui ont aboli la peine de mort ont définitivement gravé leur envie de se construire dans l’apaisement et la tolérance. D’ailleurs, ces dernières ne font jamais marche arrière, car elles savent qu’un tel rétablissement serait une faute envers les générations futures. Vissée au socle des droits de l’homme, la lutte abolitionniste ne fait qu’exprimer ce vers quoi la population mondiale tend, depuis déjà plusieurs siècles : la fin des exactions envers ce droit inaliénable qu’est la vie. Porter atteinte à ce dernier, c’est porter atteinte à l’Humanité, mais aussi à notre propre humanité. Cette vérité, une majorité d’États et de citoyens l’ont comprise. Ainsi, deux tiers des pays de l’ONU ont voté en faveur de la dernière résolution des Nations unies appelant à un moratoire sur les exécutions, quatre cinquième si l’on intègre les abstentions et les absents. C’est de cette aspiration à l’universel que le Congrès mondial tire son essence. L’aspiration à la conscience universelle pour l’abolition et ainsi distinguer, comme le disait Confucius, « le bien du mal ».
Hier à Oslo, aujourd’hui à Bruxelles, les Congrès mondiaux se relaient et se font les témoins du bouillonnement des forces abolitionnistes. Nous souhaitons donner la parole à celles et à ceux qui sont confrontés au quotidien aux affres de la peine de mort (anciens condamnés à mort, familles, avocats, etc.) ; à celles et à ceux qui, chaque jour, bataillent pour son abolition (représentants gouvernementaux, parlementaires ou encore militants des droits de l’homme).

Depuis dix-huit ans, les Congrès mondiaux donnent à tous les acteurs de l’abolition la possibilité de se fédérer pour préparer le combat de demain. À chaque Congrès mondial, nous innovons afin que de nouveaux publics s’approprient la question de la peine de mort : à Madrid, en 2013, le rôle des parlementaires était mis à l’honneur ; à Oslo, en 2016, les institutions nationales des droits de l’homme (INDH) étaient pour la première fois impliquées.

Innover en sollicitant les acteurs du secteur privé

À Bruxelles, nous avons entamé un nouveau débat avec le secteur privé et le monde des affaires. La première plénière de ce Congrès a eu pour ambition d’ouvrir le dialogue avec ce pan économique de premier plan. Les potentialités d’engagement et de création de liens avec la famille abolitionniste sont immenses : elles sont porteuses des stratégies à venir et d’espoirs pour notre devenir. Il est vital de s’assurer que l’abolition de la peine de mort, et plus généralement la protection des droits civiques et politiques, ne soit plus le parent pauvre lorsqu’il est question d’échanges commerciaux et de droits de l’homme, notamment pendant le forum annuel des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme.

L’Afrique, prochain continent abolitionniste ?

Nous avons également souhaité donner une place importante à l’Afrique, où l’abolition a marqué des avancées considérables, malgré des résistances importantes. Ce continent sera-t-il le prochain à abolir la peine de mort ? Nous l’appelons de tous nos vœux. Afin que la mobilisation dans ces États soit totale, nous avons organisé, en amont du Congrès de Bruxelles, le Congrès régional préparatoire d’Abidjan, en avril 2018. La présence renforcée du continent africain à Bruxelles est d’autant plus opportune que des négociations viennent d’être entamées en vue de réviser l’accord de Cotonou entre l’UE et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP).

Partager les connaissances et les stratégies abolitionnistes innovantes

Les Actes de chaque Congrès mondial permettent de partager les connaissances et la recherche sur l’abolition. Ils portent au-delà du Congrès les grands débats qui animent le mouvement et initient les stratégies de demain. Les nouveaux chantiers sont nombreux, comme les femmes et la peine de mort, les stratégies innovantes, ainsi que l’épineuse question du terrorisme. Comme Hugo Pratt l’a fait dire à son héros Corto Maltese, « la vengeance ne ramènera jamais un ami perdu ». Rien ne peut ramener à la vie un être cher, pas même l’exécution de son meurtrier. Cela n’est en tout cas certainement pas une addition à somme nulle, mais bien la souffrance rajoutée à la souffrance. Cette réflexion devrait pouvoir nourrir ceux qui recherchent l’apaisement et la justice.

L’engagement d’ECPM autour de la question des djihadistes condamnés à mort (ou risquant de l’être) en Irak et en Syrie s’inscrit dans cette logique. Ne pas le voir, c’est nier les valeurs de l’abolition. Nous devons défendre nos valeurs, davantage encore dans les situations les plus difficiles, qui nous touchent au plus près. Notre réponse au terrorisme découle de cette logique. Il veut nous pousser à la faute, il nous tend un piège. À nous de ne pas y succomber.

Du politikos au politeia en évitant le Politikè

Emprunté au grec ancien, le terme « politique » revêt au moins trois significations différentes : au sens large, il désigne l’organisation de la cité (politikos) ; au sens plus restreint, il désigne l’organisation des institutions politiques (politeia) ; enfin, dans le contexte de l’exercice du pouvoir, il désigne la compétition personnelle et la conquête du pouvoir (Politikè). Pour ne pas tomber dans des expressions perverties du pouvoir, la cité doit profondément assainir ses institutions autour du principe de justice universelle. Le Congrès mondial nous donne à penser le politique, au sens de l’engagement et du courage. Nelson Mandela disait que « le courage n’est pas l’absence de peur, mais la capacité de la vaincre ». C’est souvent par le courage d’un chef de gouvernement, l’abnégation d’un ministre de la Justice et la volonté d’un Parlement que l’abolition voit le jour. La cause abolitionniste nous donne l’occasion de réfléchir à l’exercice du pouvoir, à sa capacité à rendre ce pouvoir digne et respectueux de la personne humaine et aux limites de l’homme et des institutions qui fondent les sociétés humaines. Nous pouvons tous commettre des erreurs, dans les démocraties et encore plus dans les régimes autoritaires. Le droit de vie ou de mort sur les citoyens ne devrait jamais être laissé entre les mains de dirigeants dotés d’une autorité sans limites. Il ne devrait pas non plus être délégué aux mécanismes parfois aléatoires des systèmes de justice qui ne sont jamais infaillibles. Enfin, nous ne devrions jamais céder ce pouvoir à la vindicte populaire et passionnelle qui, elle, n’est qu’instinct de vengeance et de mort.
La présence, lors de ce 7e Congrès mondial, d’autant d’acteurs politiques réunis autour du même leitmotiv, avancer ensemble vers les chemins de l’abolition, est le signe d’un profond changement. En effet, le Congrès a réuni 1 500 participants venus de 100 pays : des hommes et femmes politiques, des diplomates, des avocats, des chercheurs et des militants représentant 150 ONG. Le programme de ces quatre journées fut plus riche que jamais, entre deux cérémonies officielles, une centaine d’heures d’échanges, 35 débats, tables rondes et ateliers, deux séances plénières, 50 artistes, 17 événements culturels, 7 projections de films, 4 soirées culturelles et 5 expositions…

Une mobilisation politique sans précédent

La présence de 350 personnalités politiques, dont 25 ministres et personnalités importantes, plus de la moitié venant d’États rétentionnistes, montre bien l’ampleur de la mobilisation politique que le Congrès a su générer. Il s’agit là d’un message politique fort en faveur de l’abolition. De nombreux pays et de nombreuses institutions étaient représentés à un haut niveau. L’Union européenne était représentée par la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Frederica Mogherini ; le Parlement européen était représenté par son vice-président, Pavel Telička, aux côtés des représentants du Royaume de Belgique, de la Confédération suisse, du Royaume de Norvège, de la principauté de Monaco, de la République de Bulgarie et de la République de Biélorussie (seul État rétentionniste sur le continent européen). Étaient également présents des acteurs de pays non européens, abolitionnistes ou non : la République du Cap-Vert, la République de Gambie, la République de Guinée, la République du Congo, le Burkina Faso, la République du Kenya, la République du Bénin, le Royaume d’Eswatini, le Royaume du Lesotho, la République d’Ouganda, la République de Zambie, la République de Tunisie, le Royaume du Maroc, la Mongolie, la République socialiste démocratique du Sri Lanka et les Etats-Unis.
En outre, dans les messages qu’ils ont adressés au Congrès, António Guterres, secrétaire général de l’ONU, Michelle Bachelet, haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Louise Mushikiwabo, Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), ainsi que Sa Sainteté le pape François, ont souligné la profondeur de l’engagement international pour l’abolition universelle de la peine de mort.

« Les avancées en faveur de l’abolition de la peine de mort font partie des grandes réussites dans les droits de l’homme. Quand la Déclaration universelle a été adoptée il y a soixante-dix ans, seuls 10 pays avaient aboli la peine de mort. Aujourd’hui, quelque 170 États aux systèmes juridiques, traditions, cultures et religions très variés ont officiellement aboli la peine de mort ou ne pratiquent plus les exécutions. »
Michelle Bachelet
Haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme