Interview du co-fondateur de l’ONG Journey of Hope… from Violence to Healing (États-Unis)

Vous travaillez avec des personnes qui, souvent, ont été libérées après de nombreuses années d’incarcération. Comment cela se passe-t-il généralement pour ces personnes ? Que deviennent-elles ?

Plus de 160 personnes ont été innocentées rien qu’aux États-Unis et chacune réagit différemment. Malheureusement, beaucoup commencent à boire. C’est un problème que l’on retrouve chez un certain nombre de personnes innocentées. Certaines se réadaptent très bien à la société, surtout quand elles sont entourées de famille et d’amis. D’autres perdent le contact avec leurs proches et se retrouvent seules à leur sortie de prison. L’organisation « Journey of Hope…from Violence to Healing » fait de son mieux pour aider ceux qui en ont besoin. Nous organisons plusieurs réunions par an, pendant lesquelles les époux et les épouses sont invités, ce qui permet aux gens de réellement faire connaissance.
Certains retournent en prison. Pas nécessairement pour des meurtres, mais pour divers crimes et délits. Ainsi, l’ami d’un ami s’est retrouvé dans le milieu de la drogue à sa sortie de prison.

L’État propose-t-il des programmes pour aider ces personnes ?

Les lois sont différentes dans chaque État américain. Certains accordent une indemnisation en cas de condamnation injustifiée, mais beaucoup ne le font pas. Ils laissent sortir un homme, lui donnent 75 dollars et lui disent « Au revoir ». La plupart de ces personnes se retrouvent seules en sortant, c’est très dur. Cela dit, nombreux sont ceux qui offrent leur soutien aux anciens condamnés à mort. Par exemple, je viens de l’Alaska qui n’applique pas la peine de mort. Nous avons malgré tout un groupe solide d’Alaskiens, car il existe des coalitions dans presque chaque État. Ainsi, à chaque fois que des détenus sont libérés du couloir de la mort, ces coalitions essayent de les contacter pour proposer leur aide selon les besoins. Il s’agit souvent d’une aide psychologique pour s’adapter à leur nouvelle situation. Un très bon ami à moi vivait dans une minuscule cellule où tout était à portée de main. À sa sortie, quand il s’est retrouvé dans un trois ou quatre pièces, il égarait toujours ses affaires parce qu’il oubliait où il les avait mises. Il ne perdait jamais rien dans sa cellule !

Pendant ce temps-là, le monde évolue…

Oui. Quelqu’un a tendu un téléphone mobile à un gars en lui disant : « C’est pour toi. » « Qu’est-ce que c’est ? » lui a t-il alors répondu ; il ne connaissait pas cet objet.
La fille qui a tué ma grand-mère a été condamnée à mort. Elle avait 15 ans au moment des faits. Alors qu’elle avait passé environ quatre ans dans le couloir de la mort, sa peine a été commuée à une trentaine d’années en prison. J’ai pu lui rendre visite pendant sa détention. Environ quatorze fois au cours de ces trente ans. Nous nous sommes aussi écrit des centaines de lettres. À sa sortie de prison, elle a purgé une conditionnelle de deux ans. Pendant cette période, elle n’avait pas le droit de parler aux proches de la victime, alors même que je lui avais rendu visite en prison et qu’elle voulait intégrer Journey of Hope. Elle voulait parler aux jeunes ayant subi de la maltraitance et leur dire : « Voilà ce que j’ai fait, voilà où cela m’a menée. » Elle voulait leur donner une autre alternative face à leur situation. Mais, pendant deux ans, nous n’avons pas pu prendre contact avec elle. Trois semaines avant la fin de cette période, elle s’est suicidée.
Ce fut une journée très triste pour beaucoup de gens. Ce fut très dur pour moi. Elle pensait que les gens n’oublieraient jamais ce qu’elle avait fait, en particulier sa mère, à qui elle avait rendu visite pour la Fête des mères, accompagnée de son petit ami. Ce dimanche-là, elle avait exprimé le souhait de se rendre à l’église. Sa mère lui avait répondu qu’elle ne serait pas la bienvenue, ce qui lui avait mis le moral à zéro. Une semaine plus tard, c’était l’anniversaire de la date à laquelle elle avait tué ma grand-mère et les journaux en avaient beaucoup parlé. Elle s’est dit qu’elle avait beau avoir purgé sa peine, les gens ne lui pardonneraient pas.
Je pense qu’elle avait aussi beaucoup de mal à se pardonner elle-même. Elle s’en était vraiment bien sortie en prison, surtout les dernières années. Elle prenait les jeunes détenues sous son aile. Mais elle n’était pas préparée pour sa sortie.

Quand vous examinez l’aide qui est proposée aux anciens détenus, pensez-vous qu’elle est suffisante, ou est-il nécessaire de créer de nouveaux programmes ?

Souvent, la prison n’est que châtiment. Elle ne s’occupe pas vraiment de votre réinsertion et ne vous prépare pas à l’après. Je trouve qu’il faudrait conseiller les détenus et découvrir pourquoi les personnes innocentées, ainsi que leurs proches, ont autant de mal à affronter la situation. […] Pour les condamnés qui ont bel et bien commis un crime, il faudrait veiller à ce qu’ils ne replongent pas dans le même schéma à leur libération.

Selon vous, le stress ressenti par les anciens détenus après avoir purgé une longue peine et celui ressenti par les anciens condamnés à mort est-il le même ?

C’est difficile à dire, chacun est différent. Je sais qu’en sortant, certains pourraient en vouloir à la terre entière, mais la majorité des personnes que j’ai rencontrées n’ont pas cette colère. Ils disent : « J’ai passé tout ce temps en prison. Maintenant que je suis sorti, je ne vais pas passer mon temps à vouloir me venger des gens qui m’y ont mis au départ ». Je trouve formidable que la plupart des personnes innocentées aient une attitude remarquable. Ils sont reconnaissants d’être libres et d’être en vie. Cela étant dit, ils ont souvent du mal à trouver un travail. Après de longues peines de prison, certains réflexes demeurent. J’ai un ami qui, après sa libération, s’arrêtait à chaque fois qu’il se retrouvait devant une porte ; il attendait qu’on l’autorise à la franchir. Alors qu’il avait l’habitude qu’on lui dise systématiquement quoi faire, il avait soudain le droit de faire ce qu’il voulait. L’autre cas de figure, ce sont les magasins, où le choix est tellement énorme que c’est trop pour eux.
Quand on leur offre la possibilité de raconter leur histoire, ça leur fait du bien. La plupart du temps, ils laissent derrière eux des amis dans le couloir de la mort. Ils n’envisagent pas une seule seconde de les abandonner et se démènent pour les aider. Ils savent que, parmi leurs amis, certains étaient coupables, d’autres innocents. Un de mes amis, Dirk Jamieson, était dans le couloir de la mort dans l’Ohio ; il a vu partir 54 de ses codétenus avec qui il s’était lié d’amitié. Beaucoup d’entre eux étaient jeunes ; coupables, innocents, peu importe. L’important est qu’il connaissait chacun d’eux. Depuis sa libération, il fait tout ce qu’il peut pour lutter contre la peine de mort. C’est un jeune homme remarquable.

 

« Journey of Hope…from Violence to Healing » est une organisation cofondée par Bill Pelke, George White, Marietta Jaeger Lane, SueZann Bosler, Sam Reese Sheppard (tous des membres de famille de victime de meurtre), rejoints par des membres de familles de condamnés à mort, des membres de familles de personnes exécutées, exonérées, et d’autres personnes ayant des histoires à raconter, qui organise des tournées de conférences éducatives publiques et aborde les alternatives à la peine de mort.