« L’humiliation… Où que j’aille, je vois des Malaisiens me regarder comme si j’étais moi-même une meurtrière ou comme si ma famille était incapable d’élever un enfant pour qu’il devienne une bonne personne. Pardon, je suis émue car, chaque jour, quand je me réveille, je dois trouver une force que je ne possède pas. Je dois être forte pour mon frère, pour ma mère, pour mes clients. Chaque jour, je dois leur mentir, prétendre que tout va bien, qu’il y a de l’espoir alors que j’ignore si c’est vrai ou non, parce qu’en Malaisie, dès lors que vous êtes condamné à mort, seul le sultan ou le roi peuvent vous gracier. Sans leur pardon, aucune libération n’est possible. »
Suzana Norlihan
Avocate malaisienne dont le frère a été condamné à mort

La stigmatisation des personnes emprisonnées et condamnées à mort est un problème de taille, tant pour les survivants que pour leurs familles. Elle entrave leur réinsertion et les empêche de trouver un emploi ou un logement. La discrimination, à laquelle s’ajoutent souvent les insultes et les agressions, est humiliante ; elle porte atteinte à leur dignité et peut accroître leur isolement social.
Le fardeau psychologique est énorme pour les détenus, qui doivent rester inactifs dans leur cellule dans le couloir de la mort, parfois pendant des années. Leurs proches sont, quant à eux, sujets à de nombreuses angoisses face à la situation de leur fils, leur mari ou leur frère, qu’ils n’ont parfois pas le droit de voir et qu’ils ne peuvent aider que très peu. Ils doivent pourtant continuer d’aller au travail, d’élever leurs enfants et de subvenir aux besoins de leur famille.

« Quand on pose la question de la peine de mort dans mon pays, les gens répondent que, puisque vous avez pris une vie humaine, il faut en prendre une autre en retour. En ce qui me concerne, moi qui suis de la famille du coupable, j’ai perdu deux proches (mon père et ma grand-mère)… Je suis devenue le chef de famille et j’ai dû payer toutes les dettes laissées à la fois par mon père et mon frère. Dès son arrestation, des amis et des avocats se sont moqués de moi et m’ont insultée. J’ai été renvoyée et j’ai dû ouvrir mon propre cabinet. Financièrement, c’était très difficile. J’ai dû vendre la maison de mon père, mes bracelets et mes colliers. J’ai même dû vendre à manger sur le bord de la route parce que je ne trouvais pas de travail… »
Suzana Norlihan
Avocate malaisienne dont le frère a été condamné à mort

Quand des détenus sont libérés, la réadaptation, souvent après de longues années d’emprisonnement, est rendue infiniment plus difficile par la discrimination, qui n’épargne pas les personnes exonérées et déclarées innocentes du crime dont elles étaient accusées.
Sohail Emmanuel a passé dix ans dans le couloir de la mort pakistanais. Sa famille était pauvre. Un soir, la police l’a arrêté, sans qu’il sache pourquoi. Pendant huit nuits et sept jours, il a été torturé, avant de passer neuf ans dans un centre de correction tristement célèbre pour sa brutalité. Ses problèmes n’ont pas pris fin à sa libération. Pendant dix ans, il est resté seul et n’a eu personne pour le soutenir dans sa recherche d’emploi et sa réinsertion dans la société. L’interruption de sa carrière fut une grande difficulté : alors qu’il avait été embauché en tant que manutentionnaire, son entreprise l’a renvoyé au bout d’un mois, après avoir eu connaissance de ses antécédents judiciaires. Aujourd’hui, M. Emmanuel travaille avec le Sunny Center, qui soutient les personnes emprisonnées à tort. Il crée actuellement un Sunny Center au Pakistan. À ce propos, il explique qu’ « il faut d’abord se concentrer sur la personne, puis sur la société et les institutions. »

« La stigmatisation des personnes qui ont été emprisonnées et condamnées à mort est apparue comme un problème majeur tant pour les survivants que pour leurs familles. »

« Dès que l’on sort de cette cellule, de cette prison… nous purgeons malgré tout une peine à perpétuité au sein de la société. J’entends par là que la société fixe des règles [qui s’appliquent à vous], simplement parce que vous avez été condamné, que vous soyez innocent ou non. […] Les gens voyaient bien que j’avais été innocenté, mais, parce que j’avais été arrêté pour ce meurtre, j’avais du mal à trouver du travail, à louer un logement, à devenir un membre productif de la société… Je me suis marié. Je cherche du travail, je n’en trouve pas. Je cherche un logement, c’est très difficile… »
Herman Lindsey
Président de Witness to Innocence, ancien condamné à mort

Il est crucial d’entendre les survivants et leurs proches. Il faut qu’ils puissent raconter ce qu’ils ont vécu afin de surmonter l’humiliation, l’exclusion et le dénigrement dont ils sont victimes et qu’ils puissent ainsi aider les autres. Ensaf Haidar, qui a fui l’Arabie saoudite avec ses enfants après l’arrestation et la condamnation de son mari, rappelle que « la situation ne changera pas tant que nous serons écrasés par la douleur et la peur. Lorsque nous nous taisons, notre silence entrave notre liberté. »
Les proches des détenus et les anciens condamnés à mort ont avant tout besoin d’une aide pratique. C’est un point essentiel sur lequel tous les intervenants se sont accordés.

« Quelles que soient les différences géographiques et culturelles, le combat reste le même… Nous devons être forts en permanence, jour après jour, nuit après nuit. Vous savez, il arrive un moment où vous êtes si fatigué, si épuisé, que lorsque les gens viennent vous taper sur l’épaule, vous dire que vous êtes fort, que tout ira bien, on a envie de leur hurler que non, ça ne va pas bien ! Ma force, je dois la nourrir, je dois la construire, je ne peux pas le faire seul ! Mais vous n’avez pas le choix.
À ce stade, la question du soutien et de l’assistance, dans cet atelier en particulier, est pour nous plus importante que les histoires et les témoignages. Comment fait-on ? On développe notre propre réseau de soutien. Dans certains pays, il n’y a personne vers qui se tourner. Parfois, il y a des ONG. Celles qui aident les proches à titre individuel (ou les anciens condamnés à mort) se comptent sur les doigts d’une main.
Même si vous avez une famille et des amis qui vous soutiennent, ce qui est mon cas, ils comprennent les mots que je prononce quand je leur décris ce que je vis, mais ils ne sont pas à ma place ; ils ne sont pas passés par là. Il y a très peu de personnes avec qui nous pouvons vraiment échanger.
C’est pourquoi je pense que le concept de réseau dont il a été question précédemment est très important. Dans certains pays, beaucoup de familles sont totalement isolées. Où que nous soyons, nous subissons tous une discrimination sociale, économique et professionnelle, du fait de notre situation. Des réseaux de soutien doivent être mis en place. Les ONG doivent réaliser que nous méritons tous d’être aidés, que nous soyons d’anciens condamnés à mort ou des proches de détenus qui attendent dans le couloir de la mort. Il ne s’agit pas uniquement d’argent. Bien sûr qu’avec un soutien financier, on se construit plus facilement son système de communication. Mais, sur le plan émotionnel et psychologique, on vit un enfer. Voilà ce que je voulais vous dire. »
Sandrine Ageorges-Skinner
Epouse d’un condamné à mort