Quelle est la vocation de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ?

Le groupe de travail de la Commission africaine, formé en 2005 et composé de commissaires et experts indépendants, a commencé par se pencher sur la peine de mort en Afrique. […] Une étude menée en 2011 est en cours de révision afin de prendre en compte plusieurs questions nouvelles, notamment la peine de mort dans le contexte de la lutte antiterroriste, ainsi que le problème important des groupes vulnérables, comme les femmes, les étrangers dans le couloir de la mort, etc. Nous avons aussi mené plusieurs actions de plaidoyer et de sensibilisation, nous avons adopté des résolutions relatives à l’abolition, avec l’appui des moratoires décrétés par l’ONU, et nous avons appelé les États à mettre en place des moratoires ou à entreprendre d’inscrire ces moratoires dans la loi.
La situation a évolué favorablement en Afrique, notamment dans les pays francophones, qui ont fait preuve d’une réelle volonté d’abolir la peine de mort. De nombreux États ont d’ores et déjà aboli la peine capitale ou ne la pratiquent plus. Il est important de se concentrer sur l’Afrique de l’Est, qui hésite à s’engager en faveur de l’abolition ou d’un moratoire. Cette année, j’ai trouvé encourageant de constater que plusieurs États africains supplémentaires soutenaient la dernière résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en matière de moratoires. Sur le terrain, nous continuons de sensibiliser les pays d’Afrique aux droits fondamentaux que sont la dignité humaine et le droit à la vie. Nous nous rendons également sur place et, quand nous nous trouvons dans un pays pratiquant encore la peine de mort, nous l’appelons à au moins mettre en place un moratoire dans la pratique. [Lorsque ces pays acceptent un moratoire,] nous leur demandons de franchir un pas supplémentaire vers l’abolition, en modifiant leur loi en matière de peine de mort, et finalement de protéger le droit à la vie en abolissant la peine capitale à l’échelle de la Constitution.
La présentation de rapports nationaux à intervalles réguliers devant la Commission africaine est un autre domaine de travail important. Lorsque nous recevons ces rapports, nous préparons des questions. Si un État n’est pas abolitionniste, nous lui demandons de nous expliquer pourquoi il continue de pratiquer des exécutions. Puis, dans les résolutions que nous adoptons, nous l’invitons à s’orienter vers un moratoire ou une abolition. Nous disposons donc de plusieurs outils et instruments pour défendre l’abolition auprès des États africains. J’insiste bien sur le fait que nous nous trouvons actuellement sur la voie de l’abolition : je dis souvent que le prochain continent abolitionniste sera probablement l’Afrique.

Si nous regardons plus globalement l’avenir, quelles difficultés reste-t-il à résoudre et quelles opportunités l’Afrique pourrait-elle saisir ?

Les défis sont nombreux. Tout d’abord, citons la volonté politique de certains États de s’orienter vers l’abolition. Parmi les difficultés, le continent africain va devoir s’ouvrir à un débat dans les institutions régionales. J’en parle parce que la Commission africaine a préparé un projet de protocole sur l’abolition de la peine de mort dans le cadre de la Charte africaine. […] Malheureusement, certains États qui continuent de pratiquer la peine de mort ont bloqué cette proposition au niveau de l’Union africaine, car ils ne souhaitent pas de discussion ouverte à ce sujet. Il s’agit là d’une difficulté de taille. Notre stratégie consiste désormais à entamer avec ces pays des échanges concernant la nécessité d’un dialogue participatif et inclusif dans l’Union africaine. Pour cela, nous comptons sur des États que nous considérons comme des champions de notre cause, des États abolitionnistes comme le Bénin, qui a organisé une grande conférence internationale sur la peine de mort en 2014, événement pendant lequel s’est dégagé un consensus en faveur de l’abolition. Nous prévoyons de demander à ces États leaders de représenter les pays abolitionnistes d’Afrique lors des échanges avec les États rétentionnistes.
Second défi : les arguments présentés par les États rétentionnistes sont politiques – la lutte contre le terrorisme, ou encore les traditions religieuses et culturelles. Là aussi, nous devons nous efforcer de favoriser le dialogue entre les religions et les chefs religieux, notamment musulmans et chrétiens, dans les pays pratiquant la peine de mort. Ce dialogue entre les croyances est important, car il me semble que nous manquons de plateformes pour débattre du lien entre religion et peine de mort. À l’heure actuelle, les échanges concernant la peine de mort sont dominés par les opinions conservatrices. S’il est vrai que, parmi les musulmans, de nouvelles ouvertures et interprétations apparaissent, il nous faudrait de nouveaux penseurs, à même de nous présenter une lecture différente de ce que le Coran dit à propos de la peine de mort. En effet, dans le Coran, le caractère sacré de la vie est mentionné 17 fois. Il y est écrit que la vie doit être protégée, car elle a été créée par Dieu, et seul Dieu peut ôter la vie. En revanche, même si je ne suis pas une spécialiste du sujet, il me semble que la peine de mort est évoquée à deux reprises. Dans tous les cas, il me semble que dans le choix entre ces deux approches, il convient de prendre en compte le caractère sacré de la vie, qui est clairement reconnu. Nous devons nous ouvrir à la pensée religieuse concernant la peine de mort, en impliquant les trois grandes religions et en soulignant la dignité humaine ainsi que le caractère sacré de la vie. Si cette démarche n’est pas facile, elle pourrait conduire à une universalité de l’abolition. En Afrique, il s’agit là d’une question de taille. Comme je l’ai déjà expliqué, l’opposition à l’abolition peut être d’ordre religieux, culturel ou politique. Nous devons travailler sur ces trois dimensions pour progresser, à terme, vers une abolition complète de la peine de mort en Afrique.

Quelle place occupent les problèmes du terrorisme et du trafic de drogues ?

Ce sont des problèmes nouveaux. Commençons par dire que […], quand la peine de mort persiste, elle doit être appliquée uniquement aux crimes les plus graves. Or, dans certains pays, le trafic de drogues est passible de la peine capitale. Dans certains pays également, les crimes d’ordre économique et financier, ainsi que l’adultère, sont passibles de la peine de mort. En ce qui concerne le terrorisme, plusieurs pays qui imposaient un moratoire sur la peine capitale ont connu des problèmes d’insécurité […]. Prenons l’exemple du Tchad : ce pays a adopté une loi antiterroriste qui rétablit la peine de mort face à ces crimes. De même en Tunisie. […] Nous devons surveiller cette fragilité, car nous constatons que, face au terrorisme, les pays peuvent reculer du jour au lendemain. Pour ce qui est des autres crimes, la question centrale est que les États rétentionnistes doivent conserver la peine de mort uniquement face aux actes les plus graves. Or le concept de « crimes les plus graves » est sujet à interprétation. Là où un pays considère qu’un crime est très grave, un autre ne sera pas du même avis. En dehors même de la peine de mort, il a été question de dépénaliser certains actes, comme la mendicité. Au sein de la Commission, un commissaire chargé de cette question a élaboré un guide pour la dépénalisation de plusieurs infractions qui ne justifient pas une privation des libertés. Quant à la peine de mort, la Commission considère que l’homicide volontaire reste un crime grave, tout comme les enlèvements et les meurtres d’enfants. Au contraire, les crimes de nature économique, même la traite des humains, ne doivent pas mener à la peine de mort.
Ce qui compte pour nous, c’est que le projet de protocole sur la peine de mort soit débattu au sein de l’Union africaine. Il s’agit là de la prochaine étape pour 2019. En effet, si ce protocole est débattu et adopté […], nous savons que quinze États sont abolitionnistes et que ce protocole pourrait être mis en œuvre si ces quinze États le ratifient. Puis d’autres États suivront.