Lors de cette séance les intervenants se sont penchés sur les principes juridiques qui réglementent l’application et la portée de la peine de mort, ainsi que sur les arguments de son effet dissuasif et ceux liés à la loi islamique, souvent avancés pour élargir la peine capitale. Puis le panel s’est intéressé aux cas de l’Inde, la Barbade, l’Iran, la Malaisie et l’Afghanistan.

Présentation générale du droit international

Neetika Vishwanath a examiné la notion de « crimes les plus graves » dans le contexte du droit international. Elle fait le constat que « la peine de mort est la seule exception au droit à la vie reconnu dans l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ». Le droit international réserve la peine de mort aux « crimes les plus graves », l’abolition étant désormais considérée comme l’objectif à atteindre. La définition de « crimes les plus graves » est sujette à controverse ; plusieurs instruments internationaux ont tenté d’apporter une réponse et de restreindre le nombre d’infractions répondant à ce critère. Ainsi, le Comité des droits de l’homme a émis un avis qui fait autorité dans son observation générale n°36 concernant le droit à la vie, en 2018. Le Comité y affirme que seuls les crimes entraînant directement le décès et commis dans l’intention de tuer peuvent être passibles de la peine de mort. L’article 6 (paragraphe 5) du PIDCP interdit également d’appliquer la peine capitale aux personnes de moins de 18 ans et aux femmes enceintes, ainsi que dans diverses situations.
Pour ce qui est de la procédure, il est signifié que :
• Un crime doit être passible de la peine capitale au moment où il a été commis ; les États ne sont pas autorisés à rétablir les condamnations à mort pour des crimes qui ne sont plus passibles de cette peine.
• Par ailleurs, l’abolition doit être rétroactive pour les détenus qui se trouvent déjà dans le couloir de la mort.
• La peine de mort ne peut pas non plus être prononcée pour des crimes dont la définition est vague.
• La condamnation doit s’appuyer sur des preuves de culpabilité claires et convaincantes.
• La peine de mort ne peut pas être appliquée lorsque le droit à un procès équitable n’a pas été respecté (aveux obtenus sous la contrainte, témoins pertinents non interrogés, procès programmé à une période inadaptée, documents pertinents non mis à disposition ou présomption d’innocence non respectée).
• De plus, la peine de mort ne peut pas être obligatoire, car ce principe serait contraire à l’individualisation des condamnations.
• Les droits des personnes inculpées ou condamnées pour des crimes passibles de la peine de mort doivent être respectés : par exemple, l’accusé doit avoir accès à une assistance juridique adaptée à tout moment, ainsi que la possibilité de faire appel et demander une grâce.

En ce qui concerne l’exécution, les garanties prévoient de prévenir le condamné suffisamment à l’avance, de mettre en place un intervalle raisonnable et de reporter l’exécution en attendant la fin des procédures mises en œuvre auprès de la justice ou de l’exécutif.

Effet dissuasif

Les intervenants ont débattu de l’argument très répandu du caractère dissuasif de la peine capitale. Ils ont commencé par souligner qu’il est difficile de prouver le contraire : comment prouver qu’un crime aurait eu lieu lorsque ça n’a pas été le cas ? Ou à l’inverse, que ces crimes ont été évités en raison de l’effet dissuasif de la peine de mort ? Par ailleurs, cet argument part du principe que les coupables ont conscience de la peine qu’ils encourent.
M. Khoo a expliqué qu’en Malaisie, il est utile de distinguer les crimes en lien avec la drogue des autres types d’infractions passibles de la peine de mort. En effet, l’opinion publique reste convaincue que la peine capitale a un effet dissuasif dans la plupart des cas. Les statistiques ont pourtant montré qu’au contraire, les crimes liés à la drogue ont augmenté dans ce pays, même après l’instauration de la peine capitale obligatoire pour ce type d’infraction. Il serait dès lors relativement facile pour les autorités de supprimer la peine de mort face aux crimes liés à la drogue sans créer de scandale public.

L’argument de l’opinion publique

Cette considération met en lumière un troisième argument fréquemment invoqué : la peine de mort serait justifiée, parce que soutenue par le grand public. En Malaisie, il semblerait que le pouvoir préfère suivre l’opinion publique considérée comme favorable à la peine de mort. En réalité, comme cela a déjà été évoqué, l’opinion publique peut souvent basculer contre la peine de mort lorsqu’elle est sensibilisée à la réalité de celle-ci et que les arguments abolitionniste sont expliqués.. La question est de savoir si « les responsables politiques dirigent ou suivent ».

La loi islamique

Le panel s’est ensuite penché sur la loi islamique et son impact sur le comportement du public vis-à-vis de la peine de mort. M. Mahmodi a remarqué qu’en Afghanistan, les experts juridiques débattent souvent de la charia et du droit civil avec les spécialistes des questions religieuses. Il en ressort que certains éléments des crimes hudûd ne peuvent en aucun cas être modifiés. Néanmoins, la peine de mort relève des ta’zir. Or, dans ces cas-là, la charia admet que les décisions sont à la discrétion des juges. Me Khoo a expliqué que la Malaisie revendiquait obstinément une forme d’exception nationale qui était incompatible avec la vision de l’Islam comme étant universel.. M. Amiry-Moghaddam n’est pas convaincu que l’Iran pratique la peine de mort pour des raisons purement religieuses ; ce pays utilise plutôt la religion pour justifier la peine de mort et obtenir le soutien du public.

Inde

L’Inde a élargi la définition des crimes graves en appliquant la peine de mort au viol des personnes de moins de 18 ans. En effet, lorsque le problème des violences sexuelles est devenu une question de premier plan, le procureur général a déclaré que le viol était un crime encore plus grave que le meurtre. De manière générale, l’opinion publique indienne est favorable aux châtiments et à la peine de mort. L’Inde est par ailleurs dotée d’un système de condamnation extrêmement vague  ; les juges qui souhaitent appliquer la peine de mort peuvent souvent trouver au moins un précédent dans la jurisprudence pour étayer leurs décisions.

La Barbade

En 2018, la Cour caribéenne de justice (CCJ) a déclaré que la peine capitale obligatoire était anticonstitutionnelle dans le cas de Jabari Nervais. Avant cette décision, les condamnations pour meurtre débouchaient automatiquement sur une condamnation à mort.
Pour parvenir à cette décision, la CCJ a dû réinterpréter une clause de sauvegarde de la Constitution de la Barbade, selon laquelle les peines de mort obligatoires ne pouvaient en aucun cas être remises en question. La CCJ a choisi d’envisager cette clause dans le contexte du passé colonial de la Barbade, privilégiant une lecture moderne favorable aux droits des accusés. Si la Barbade n’a pas encore aboli la peine de mort, cet État est favorable à l’abolition et applique un moratoire de fait depuis 1984.

Iran

Selon un rapport publié récemment par Iran Human Rights (IHR), l’Iran est le pays qui a pratiqué le plus d’exécutions par habitant au cours des onze dernières années. Après la Chine, c’est le pays où le nombre d’exécutions est le plus élevé. Les condamnations et exécutions ont cependant baissé après un amendement récent de la loi antidrogue, amendement qui restreint les cas passibles de la peine de mort.
M. Amiry-Moghaddam a observé que « l’Iran a ratifié le PIDCP, […] mais l’expression « crimes les plus graves » reste vague et se prête à de nombreux débats ».
Parmi les condamnés à mort, 68,9 % le sont pour homicide volontaire, 8,8 % pour des crimes en lien avec la drogue, 8,4 % pour viol et 13,9 % pour moharebeh (« corruption sur terre »). Cette dernière catégorie comprend les crimes d’ordre économique et financier. Trois personnes ont été exécutées et plusieurs ont été condamnées à mort pour des moharebeh en 2018. Les trois hommes qui ont été exécutés ont été arrêtés après que le gouvernement a intensifié sa campagne anticorruption en 2018, à la suite des manifestations contre la crise économique que traverse le pays. Les affaires de corruption sont jugées par des tribunaux révolutionnaires, souvent à huis clos. Les autorités iraniennes considèrent les crimes économiques et financiers comme très graves, car ils ont un impact sur de nombreuses personnes.

Malaisie

Après son élection en 2018, le nouveau gouvernement malaisien a entrepris d’abolir la peine de mort obligatoire. En octobre 2018, le ministre chargé de la loi auprès du Premier ministre a annoncé que la Malaisie comptait abolir totalement la peine capitale. Cependant, après une levée de boucliers de la part de l’opposition, des menaces de manifestations et des appels à la justice pour les proches des victimes de meurtres dans les médias, le gouvernement a reculé, pour parler à nouveau de mettre fin à la peine de mort obligatoire uniquement. Le gouvernement tient compte des chefs religieux, qui ont tendance à considérer que la réduction et l’abolition de la peine de mort sont un affront à la dignité de l’islam.
La Malaisie n’a pas adopté le PIDCP ni son Deuxième Protocole facultatif. Elle n’a pas non plus ratifié la Convention contre la torture et son Premier Protocole facultatif.
Le gouvernement souhaite lutter en priorité contre les infractions en lien avec la drogue. La loi relative aux drogues dangereuses (1952) prévoit des peines lourdes ; en 1983, la peine de mort est même devenue obligatoire face à tout un éventail d’infractions liées à la drogue. En 2018, la loi a toutefois été modifiée afin que les juges puissent décider de la peine infligée. La peine de mort concernant les crimes liés à la drogue fait débat, car son effet dissuasif n’a pas été démontré et que la double présomption de possession et de connaissance est intrinsèquement injuste.

Afghanistan

Le nouveau Code pénal afghan (2014) restreint le nombre de crimes passibles de la peine de mort. La peine de mort reste malgré tout fréquente, notamment parce que l’Afghanistan est pris dans un cercle vicieux de conflits depuis plus de quarante ans. « La réponse à la violence est la violence. Or la justice ne peut pas être rendue par des États qui assassinent leurs peuples. » À la différence de la plupart des pays de la région, l’Afghanistan a ratifié de nombreux instruments en matière de droits de l’homme, dont le PIDCP. « Le PIDCP n’autorise pas [à utiliser] la peine de mort, mais fixe plutôt des conditions à respecter pour les pays qui imposent la peine capitale, selon certains principes. »
Comme l’a signalé M. Mahmodi, la Commission indépendante des droits de l’homme a commencé à condamner publiquement la peine de mort. « Nous nous efforçons d’obtenir la justice, pas la vengeance. » M. Mahmodi a par ailleurs évoqué plusieurs incidents récents. Dans une de ces affaires, le public a exigé que les coupables d’un viol en réunion soient exécutés. Le gouvernement s’est rangé du côté de l’opinion publique, si bien que les condamnés ont été exécutés après un procès expéditif. A la suite de cet épisode, la Commission s’est efforcée de sensibiliser le public en appelant à un moratoire et en organisant des formations. Une autre affaire faisant date concerne le meurtre d’une femme par un gang. Dans ce cas, les autorités ont respecté le système judiciaire, malgré les appels du public demandant une exécution. A la suite de ces affaires notamment, le gouvernement a rédigé un nouveau Code pénal.
La peine de mort se limite désormais à cinq catégories de crimes, correspondant aux « crimes les plus graves » tels, qu’ils sont définis par les Nations unies. La Commission poursuit ses efforts en vue d’une abolition complète, mais cette question reste difficile sur le plan politique. Cela dit, la peine de mort obligatoire a été abolie, permettant aux juges de prendre des décisions discrétionnaires face aux circonstances individuelles, dans les affaires passibles de la peine capitale. En outre, deux nouvelles dispositions importantes dans le Code pénal interdisent les condamnations à mort chez les accusés de moins de 20 ans. Bien qu’aucune disposition ne protège les femmes enceintes et les personnes âgées, les femmes n’ont jamais été exécutées, sauf sous les talibans.
L’Afghanistan demeure rétentionniste et ne soutient pas encore l’abolition, malgré des améliorations. Ainsi, 700 condamnations à mort sont en cours d’examen et pourraient être commuées en peines de prison. L’opinion publique reste une difficulté pour faire avancer la cause mais la Commission considère que le public finira par respecter la loi, si celle-ci rend la justice.

Défis et recommandations

• Pour un impact durable, une réforme législative est nécessaire, le problème étant qu’en l’absence d’exécutions, les appels à l’abolition perdent de leur élan.
• Informer les organes de défense des droits internationaux et les cours d’appel locales.
• Avancer progressivement, sans brûler les étapes. Commencer par les exécutions de mineurs, par exemple.
• Effectuer des recherches à l’échelle locale, car l’étude des autres pays peut facilement être rejetée.
• Convaincre les journalistes et les médias de parler de l’abolition et de la situation des détenus, plutôt que de se concentrer uniquement sur la justice pour les victimes.

« Soyons clairs. En attendant que la peine capitale soit complètement abolie, tous les droits humains doivent être rigoureusement garantis à chaque fois qu’un accusé risque une condamnation à mort. »
Michelle Bachelet
Haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme