Lors de cette séance, les intervenants ont commencé par passer en revue les changements socio-politiques rapides qui influencent le plaidoyer en faveur de l’abolition, avant de découvrir les efforts menés à Taïwan pour sensibiliser le public. Les participants se sont ensuite répartis en quatre groupes afin de réfléchir à des stratégies potentiellement efficaces aux échelles locale, nationale, régionale et internationale. Ces groupes devaient identifier les acteurs à chaque niveau, évaluer le contexte, puis élaborer une stratégie. Les travaux de ces groupes sont exposés ci-dessous.

Une époque intéressante

En introduction de cette séance, Chiara Sangiorgio a souligné la rapidité avec laquelle l’environnement socio-politique actuel évoluait. Le droit international subit des attaques qui nuisent aux efforts pour faire abolir la peine de mort. Les alliances politiques se font et se défont, influençant à la fois le lobbying et le soutien. N’oublions pas, par exemple, que les abolitionnistes ne sont pas les seuls à faire campagne autour de la peine de mort : récemment, les États-Unis ont encouragé plusieurs gouvernements à soutenir la peine capitale. L’Europe est secouée par le Brexit, les questions migratoires et le populisme. Le monde entier débat du terrorisme et de la manière de l’affronter sur les plans juridique et politique, et en termes de sécurité. Les nouvelles technologies ouvrent le champ des possibles au niveau de l’action, mais s’accompagnent aussi de défis et de risques pour les abolitionnistes.

L’évolution des idées à Taïwan

La Taiwan Alliance to End the Death Penalty a décrit le projet « Let’s Discuss Alternatives to the Death Penalty » (« Parlons des alternatives à la peine de mort »). Cette campagne organise des événements dans les douze grandes villes de Taïwan, l’occasion d’échanger avec des personnes de tous les horizons à propos de la peine de mort et des solutions alternatives. Cette initiative réunit des personnes qui n’ont pas d’opinion tranchée (qui ne sont pas abolitionnistes, mais ne soutiennent pas non plus fortement la peine capitale), afin de les informer et d’écouter attentivement leur avis. Elle présente ensuite ces informations aux décideurs politiques qui prétendent ne pas pouvoir abolir la peine de mort parce qu’elle a le soutien du grand public. Ces travaux sont urgents dans un contexte où le gouvernement poursuit les exécutions, après avoir pourtant promis d’abolir la peine capitale en 2000.

Les groupes de travail ont exprimé les idées ci-dessous.

Groupe de travail : échelle locale
À l’échelle locale, les intervenants ont principalement suggéré d’échanger avec le public et de l’informer afin de transmettre une image plus humaine des condamnés à mort. Les établissements scolaires et les universités ont été considérés comme prioritaires. Parmi les approches évoquées, les anciens condamnés à mort, leurs proches ou des témoins pourraient raconter leur histoire. Si cette démarche s’avérait impossible (par exemple, pour des raisons de sécurité ou de transport problématique), des défenseurs de l’abolition pourraient recueillir des études de cas et organiser des exercices ou des jeux de rôles afin que le public comprenne les problèmes et s’implique. La principale stratégie proposée consistait donc à interagir et débattre avec le public. Le groupe a également souhaité utiliser les réseaux sociaux pour une communication plus large. Il serait possible de créer des vidéos, comme l’a fait Lush par exemple, ou de programmer une séance de questions-réponses en direct, sous la supervision de modérateurs, sur des plateformes comme Facebook et Instagram.

Groupe de travail : échelle nationale
Divers acteurs sont pertinents à l’échelle nationale ; il convient d’élaborer une stratégie adaptée à chacun d’eux. Les acteurs importants comprennent les partis politiques et leurs représentants : ici, il faudrait veiller à bien intégrer le climat politique en vigueur dans le pays. Par exemple, sachant que le gouvernement thaïlandais est soutenu par l’armée, il pourrait être judicieux d’établir un lien entre l’abolition et la lutte pour la démocratie et les droits humains. Les journalistes et les médias sont un autre groupe important. Dans leur cas, la stratégie pourrait consister à les informer sur la peine capitale et les convaincre de ne plus présenter cette question sous un angle sensationnaliste. Un troisième groupe important est constitué par les professions juridiques. Il pourrait s’agir d’impliquer et d’informer ce corps de métier, tout en collaborant avec ces professionnels et en promouvant la défense de la cause abolitionniste. Par exemple, l’ordre des avocats malaisiens a récemment élaboré un appel à l’abolition. Ensuite, un objectif clé consiste à faire basculer l’opinion publique, en impliquant prioritairement la jeunesse et ce, sans distinction entre les sexes. Pour cibler les familles, il serait possible d’axer la communication sur les proches des condamnés à mort, mais aussi des victimes. Enfin, il conviendrait de s’adresser aux chefs de file des différents groupes, par exemple culturels, ethniques, autochtones ou des personnes souffrant de handicaps.
Ce groupe de travail a insisté sur l’importance de bien comprendre le contexte. Il a souligné que le mouvement pour l’abolition ne pouvait pas adopter une approche identique face à tous ses interlocuteurs. Avant de décider d’une stratégie, il est donc crucial d’envisager l’environnement culturel, la présence éventuelle d’un conflit dans le pays, la qualité de la démocratie ou du système politique, ainsi que tous les autres facteurs pertinents.

Groupe de travail : échelle régionale
Les participants ont reconnu que les différentes régions peuvent englober plusieurs groupes (comme en Afrique) ou une seule entité (par exemple, l’Asie du Sud-Est). Ils ont reconnu que certains groupes régionaux peuvent être particulièrement difficiles à influencer (la Ligue des États arabes, par exemple). Le groupe s’est également demandé si certaines régions sont réellement homogènes. Ainsi, l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne ont des besoins très divers et une situation différente vis-à-vis des droits de l’homme. Il est plus globalement difficile de considérer l’Afrique comme une seule région.
Ce groupe de travail est parti du principe que ce sont les gouvernements qui orientent l’opinion publique. Les participants ont convenu que les institutions légales sont un acteur clé. Il est donc essentiel de sensibiliser les ordres des avocats, les facultés de droit et les étudiants en droit, qui deviendront les dirigeants et influenceurs de demain. Les participants étaient également d’accord sur l’influence régionale des médias. Radio France International est écoutée dans de nombreux pays francophones, par exemple. Là où l’accès à Internet est bon, les podcasts et les youtubeurs peuvent exercer une certaine influence ; là où l’accès à Internet est limité, WhatsApp est le réseau social par excellence.
En dehors des systèmes régionaux, le groupe de travail a reconnu que certains pays ont plus de poids que d’autres (les États-Unis en Amérique, le Japon en Asie, etc.). Une stratégie axée sur ces pays pourrait donc produire un effet plus large. Les États abolitionnistes pourraient également endosser un rôle de meneurs dans leurs régions respectives. Par exemple, serait-il possible que Hong Kong pilote les débats autour du crime et des peines en Asie du Sud-Est, à la place de Singapour ?

Groupe de travail : échelle internationale
Ce groupe s’est concentré sur les États, en se demandant comment les défenseurs de l’abolition pourraient les impliquer efficacement. Les participants ont souligné la nécessité pour les États de comprendre et de reconnaître leur propre histoire et position. Parmi les propositions, le groupe a suggéré d’établir une passerelle entre les arguments pro-abolition et ceux des autres mouvements, par exemple pour le désarmement nucléaire. Sur la base de leur propre expérience, les participants ont étudié comment inciter les associations de médecins internationales ainsi que les médecins eux-mêmes à examiner les normes, les conditions de vie dans le couloir de la mort et les méthodes d’exécution. Les chefs religieux sont un autre groupe important à l’échelle mondiale. À ce titre, il faudrait que les défenseurs de l’abolition échangent avec eux.