« Je ne saurais pas vous dire pourquoi la peine de mort existe encore au Belarus. Il ne s’agit pas d’un État exceptionnel, marqué par des guerres de religions ou des conflits entre des groupes ethniques. Il n’y a pas de conflit international ; la criminalité n’y est pas élevée. »
Valiantsin Stefanovic,
Avocat, Human Rights Centre Viasna

À l’origine, le Belarus importe la peine de mort dans son droit pénal sous l’influence de l’Union soviétique, où les exécutions sont fréquentes dans les années 1930. Les hommes comme les femmes étaient exécutés, y compris pour des crimes d’ordre économique et financier. Cependant, après l’indépendance du pays en 1991, les exécutions se sont poursuivies. Aujourd’hui, douze articles du Code pénal autorisent la peine capitale, ainsi que deux crimes en temps de guerre.
Aujourd’hui, les femmes ne sont plus condamnées à mort. En revanche, la peine capitale est encore appliquée aux hommes âgés de 18 à 65 ans. Si, depuis 1991, les exécutions se sont faites plus rares, elles persistent malgré tout. Dans la pratique, la peine capitale est désormais appliquée uniquement dans les affaires de meurtre. En 2018 quatre personnes ont été exécutées, tandis qu’en 2019, deux personnes ont déjà été placées dans le couloir de la mort. En cas de condamnation à mort, les prisonniers peuvent demander au Président de les gracier, requête qui a été accordée une seule fois par le passé.
« Alors que les représentants biélorusses affirment que la peine de mort fait baisser la criminalité, les statistiques ne mettent en évidence aucun lien entre criminalité et peine capitale. »

Les problèmes de procédure équitable

Comme l’a remarqué Julia Ouahnon, « les droits de l’homme sont bafoués à chaque étape de la procédure judiciaire ». Les représentants de la justice ne sont pas indépendants. La présomption d’innocence n’existe pas. De nombreux prévenus n’ont pas accès à un avocat et ces derniers sont souvent absents lors des procès. Les détenus sont également souvent soumis à une torture physique ou psychologique afin de leur faire signer des aveux, sur lesquels il est ensuite difficile de revenir. Les accusés qui sont vulnérables d’un point de vue social et économique sont souvent représentés par des avocats commis d’office qui les encouragent à plaider coupable pour recevoir une peine plus clémente.
L’absence d’un mécanisme d’appel au Belarus pose particulièrement problème. Quant à la Cour suprême, elle reprend les mêmes peines que les tribunaux initiaux, en ne laissant aucune possibilité de faire appel devant une juridiction plus élevée. Cette procédure contraire aux PIDCP signifie que les peines sont arbitraires et ne reposent pas sur un procès équitable. Elle a pour effet de permettre l’exécution de détenus potentiellement innocents.

Les violations des droits des familles

Le système biélorusse actuel bafoue les droits des accusés, mais aussi ceux de leurs proches. En effet, les Nations unies ont identifié de nombreuses violations des droits des familles, comme le fait de leur cacher des informations, de ne pas leur rendre le corps après l’exécution et de ne pas leur révéler l’emplacement de la sépulture.
Ni les condamnés ni leurs proches ne sont informés de la procédure d’exécution. Remarquant que « le fait de punir la famille des coupables ou des accusés est une pratique qui remonte à l’époque soviétique », Anaïs Marin a confirmé que les États doivent éviter les exécutions secrètes et transmettre les informations aux familles.
Andrei Paluda a attiré l’attention sur la publication d’articles cruels et diffamatoires à propos des proches des détenus exécutés. Il a affirmé que cela ne pouvait être toléré. D’après lui, « l’existence de la peine de mort crée un tourbillon de haine qui touche la société tout entière ».

« Avant l’arrestation de son père, Aliaksandra Yakavitskaya, fille de M. Yakavitski, n’avait pas conscience que la peine de mort était encore pratiquée au Belarus. Lors du procès de son père, elle raconte que certains témoins étaient ivres et ont livré des éléments contradictoires. “Mon père a été principalement condamné parce qu’il n’y avait personne d’autre à accuser et qu’il avait déjà une condamnation à son actif.’ Pendant sa détention préventive, sa fille n’a reçu que peu d’informations, tandis que lui a été soumis à des mesures de sécurité drastiques et à un traitement cruel. Ni M. Yakavitski ni ses proches n’ont été informés de la date choisie pour son exécution. La famille a été prévenue seulement un mois après l’exécution. Son corps ne lui a pas été restitué afin de pouvoir l’enterrer. On ne lui a pas non plus rendu ses effets personnels et elle ne sait pas s’il est enterré ni dans quel lieu. A la suite de la publication d’articles dans les médias, les gens ont affirmé que l’épouse et la fille de M. Yakavitski avaient du sang de meurtrier dans les veines et méritaient le même sort que ce dernier. »
La famille d’Henadz Yakavitski
exécuté en 2016

La nécessité de collecter des informations et d’organiser un débat

On affirme souvent qu’il est impossible d’abolir la peine de mort au Belarus en raison du soutien de l’opinion publique. Une enquête a récemment révélé que 60 % du public soutient la peine capitale, tandis que 23 % n’ont pas conscience de son existence. Les intervenants ont souligné que le public a du mal à s’informer en raison du secret cultivé par les autorités. Le gouvernement ne fournit aucun chiffre officiel et dévoile peu de détails concernant ses décisions et procédures. Les médias non plus ne fournissent pas d’informations solides. Le sujet de la peine capitale est rarement débattu dans le pays.
L’abolition pourrait pourtant être inscrite dans la loi par le Président, le Parlement ou un référendum, possibilités qui ont été débattues par les intervenants.
Le Président actuel a affirmé ne pas souhaiter s’opposer à la volonté du peuple. Or, Andrei Paluda a répondu que ce n’est pas l’opinion publique qui devrait décider de cette question. En effet, la peine de mort a été abolie en France à une époque où la majorité des Français y étaient défavorables.
Le Belarus pourrait proclamer un moratoire sur les exécutions et commuer toutes ces condamnations en peines d’emprisonnement. Dans leurs décisions, les juges et procureurs pourraient également mettre en place un moratoire sans aucune déclaration officielle.
Andrei Naumovich s’est montré plus prudent. En tant que membre du Groupe de travail parlementaire sur les questions de peine de mort, il a confirmé que la majorité de la population et de nombreux députés restaient favorables à la peine capitale. Dans le contexte actuel, un référendum ne produirait pas nécessairement le résultat espéré. Si les électeurs ou les députés votaient contre l’abolition, « les avancées seraient stoppées pendant de nombreuses années. […] Chaque pays a sa propre solution face à ce problème et chacun progresse à son rythme ».
Tous ont convenu que les abolitionnistes doivent sensibiliser le public, pas uniquement à Minsk, mais dans tout le pays. Affirmant que « plus les gens connaissent la réalité de la peine de mort, plus ils y sont opposés », Tatiana Termacic a suggéré que le gouvernement mène une consultation publique nationale sur le sujet.

Les institutions internationales

Le Belarus est le seul pays d’Europe appliquant encore la peine de mort. Le Conseil de l’Europe a d’ailleurs fait de l’abolition dans ce pays une priorité, estimant qu’à terme, elle est inévitable. Par le passé, le Belarus a peu coopéré avec les organisations internationales de défense des droits de l’homme dans ce domaine. Les autorités biélorusses ne reconnaissent pas la Cour européenne de Strasbourg. De plus, elles considèrent que les recommandations des Nations unies en matière de droits de l’homme ne sont pas contraignantes. C’est ainsi que le Belarus a ignoré les recommandations formulées par le Comité des droits de l’homme des Nations unies et a pratiqué des exécutions alors que ce comité examinait encore des appels. Le Belarus ne proposant pas de procédure d’appel à l’échelle nationale, les appels auprès des organes de l’ONU restent malgré tout un recours important pour les citoyens biélorusses.

Défis et recommandations

• En attendant l’abolition, le Belarus devrait mettre en place un système d’appel lorsque la peine capitale est prononcée.
• Le Belarus devrait coopérer avec les organes de défense des droits de l’homme au sein des Nations unies afin d’améliorer son système de justice.
• Le gouvernement doit immédiatement respecter son obligation internationale de dévoiler les informations concernant la peine de mort, à la fois pour les condamnés et leurs proches, et de rendre aux familles le corps et les effets personnels des détenus exécutés.
• Le gouvernement devrait encourager un débat public autour de la peine de mort. Les militants devraient aussi lancer des discussions dans tout le pays.

« Le chemin vers la reconnaissance des droits humains est semé d’embûches. Ce chemin, il faut le parcourir pas à pas. Je suis certaine qu’un jour, la peine de mort sera abolie au Belarus. Mais, avant cela, combien de personnes faudra-t-il perdre ? »
Lyubov Kovaleva
Mère de Vladislav Kovalev, exécuté en 2012