Déclaration conjointe d’experts indépendants de l’ONU

À l’occasion des 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) en 2018, l’universalité des droits humains fondamentaux a été célébrée dans le monde entier. Cette universalité a été réaffirmée au plus haut niveau par le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres  ; la Haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet  ; et plusieurs experts indépendants en matière de droits de l’homme . Tout comme le droit à la vie, cité parmi les droits humains universels à l’article 3 de la DUDH, la peine de mort et le combat pour son abolition sont des questions universelles.
À l’heure actuelle, 170 États membres des Nations unies ont officiellement aboli la peine capitale ou appliquent de fait un moratoire sur les exécutions. Malgré cette tendance mondiale, la peine de mort continue d’être pratiquée dans plusieurs régions du monde, le plus souvent en bafouant de nombreux droits humains fondamentaux ainsi que des traités et normes de base en matière de droits de l’homme. Contraire au droit à la vie de chaque individu, la peine de mort a tendance à être discriminatoire dans la pratique, puisqu’elle touche de manière disproportionnée les personnes issues des groupes les plus vulnérables, par exemple les groupes et minorités ethniques, les catégories socio-économiques inférieures, les personnes LGBTI, les personnes qui sont moins à même de se défendre. En outre, la peine capitale peut constituer un outil politique afin de restreindre les libertés individuelles (par exemple, la liberté d’expression, de pensée et de religion) ou être utilisée contre les opposants politiques et les défenseurs des droits de l’homme. Les condamnés à mort subissent souvent des tortures ou d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Par ailleurs, leurs droits légaux sont souvent ignorés, si bien que leurs condamnations reposent sur des procès contraires aux normes de base en matière de procédures équitables. Enfin, la peine de mort est souvent appliquée à des infractions autres que les « crimes les plus graves », ce qui est clairement contraire au droit international.
Dans le monde entier, les conditions de détention ne respectent pas les normes internationales et peuvent elles-mêmes constituer une torture ou un traitement et une peine cruels, inhumains ou dégradants. En effet, les individus condamnés à mort sont souvent placés à l’isolement, dans des cellules et quartiers insalubres, sans accès réel à la nourriture, à des sanitaires et à des soins de base. On leur refuse fréquemment le droit de visite de leurs proches et avocats, ainsi que le droit de demander une grâce. Or ces conditions de détention peuvent avoir des conséquences physiques et psychologiques graves, exacerbées par l’anticipation constante de l’exécution à venir ou, au contraire, la prolongation souvent indéfinie du séjour dans le couloir de la mort en raison des procédures longues ou des moratoires officieux.
Au vu de ces multiples problèmes, nous, les experts indépendants du Conseil des droits de l’homme, rappelons que :
• La peine de mort n’est pas une mesure dissuasive fiable et n’augmente pas la sécurité de la société. Au contraire, quand un État estime que la vie n’est pas sacrée, cette idée se répand parmi ses habitants. Ainsi, la violence engendrant la violence, les pays qui appliquent la peine de mort ont une criminalité plus élevée que les pays abolitionnistes.
• La peine de mort n’est pas juste. Elle répond à une soif de vengeance qui perpétue le cycle de violence et de souffrance là où, au contraire, la justice a vocation à réparer une situation.

Nous réaffirmons également que, bien qu’elle ne soit pas explicitement interdite dans le droit international, la peine de mort est quasiment impossible à appliquer sans bafouer certains des droits humains les plus fondamentaux, notamment le droit de ne pas subir de torture ni d’autres traitements ou châtiments cruels, inhumains et dégradants. En outre, il convient de ne pas considérer que les traités et documents relatifs aux droits de l’homme tolèrent ouvertement la peine capitale, mais au contraire encadrent son utilisation en vue de l’abolir, à terme, comme indiqué au paragraphe 6 de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et comme l’a récemment réaffirmé le Comité des droits de l’homme dans son Observation générale n° 36 . Par conséquent, à l’occasion du 7e Congrès mondial contre la peine de mort, pour une politique visant à garantir le respect à la fois de la lettre et de l’esprit des normes les plus fondamentales de la loi en matière de droits de l’homme, nous appelons les États à s’engager envers l’abolition universelle de la peine capitale :
• en veillant à ce que toutes les décisions judiciaires soient appliquées dans le respect total des normes internationales en termes de procès et de procédures équitables, notamment des articles définissant les droits des accusés passibles de la peine capitale6  ;
• en adoptant un moratoire officiel sur les peines de mort et les exécutions, avant une abolition totale de la peine capitale ;
• en adhérant au Deuxième Protocole facultatif du PIDCP et en soutenant les résolutions biennales adoptées par le CDH des Nations unies sur la question de la peine de mort et par l’Assemblée générale des Nations unies pour un moratoire universel sur la peine de mort.

La peine de mort n’est pas uniquement une question de justice pénale nationale ; elle concerne plus largement les droits de l’homme et, de fait, la gouvernance nationale et mondiale sur la base de l’équité, de la justice et de la dignité humaine. Nous réaffirmons notre engagement envers l’abolition universelle de la peine de mort et nous encourageons toutes les parties prenantes, que ce soient les États, les organisations internationales et intergouvermentales, les institutions nationales en matière de droits de l’homme ou la société civile, à soutenir notre appel.